Document sur les lois et les pratiques policières en France

réalisé par Serge Quadruppani
mercredi 16 octobre 2002
par  le réseau d’AC !

- A - TEXTES DE LOI

  • Projet de « loi pour la sécurité intérieure  » :

Premier projet de loi pour la sécurité intérieure. Document de travail - 13/09/02. REV.7.

Le projet de loi DÉFINITIF est une version remaniée du document de travail ci-dessus. Cependant, son esprit et ses principales « innovations  » sécuritaires sont maintenues :

Des peines de prison ferme y sont prévues contre : la mendicité « agressive  », le « racolage passif  », l’installation sans autorisation « sur ou dans un bien immobilier appartenant àautrui  », et les « menaces  » contre les agents de l’Etat. Ce texte a été déposé devant le conseil d’Etat, et devrait être présenté le 23 octobre en Conseil des ministres.

Ces mesures criminalisent les populations pauvres, précaires, et marginalisées. Elles concernent aussi les grévistes et les activistes lors d’occupations, de piquets de grève, ou d’actions contre les pouvoirs publics.

Les pouvoirs de la police sont étendus : possibilité de fouille sans contrôle judiciaire, fichier de « personnes mises en cause  », fichage génétique systématique des personnes soupçonnées de crimes ou délits passibles d’au moins trois ans d’emprisonnement...

Communiqué de la Ligue des Droits de l’Homme.

Communiqué du Syndicat de la Magistrature.

Le gouvernement précédent avait préparé le terrain avec la LSQ : textes de la Loi sur la Sécurité Quotidienne et analyse juridique de la saisine citoyenne.

A titre d’exemple, un des effets de la LSQ, qui a presque un an, est la condamnation àde la prison ferme de « toute personne qui aura, d’une manière habituelle, voyagé dans une voiture sans être munie d’un titre de transport valable  ». Ainsi, le tribunal correctionnel de Rouen a récemment condamné quatre usagers de la SNCF. Deux d’entre eux, âgés de 21 et 20 ans, ont été condamnés àun et trois mois de prison ferme, respectivement.

  • Cette évolution s’inscrit dans un contexte général décidé depuis plus d’un an au niveau européen. « The war on freedom and democracy  » est une excellente analyse en anglais de Tony Bunyan (version PDF) sur les attaques contre les libertés publiques organisées par le Conseil de l’UE et la Commission européenne.

- B - RAPPORTS ETABLIS PAR LES ASSOCIATIONS

En l’état actuel des choses, la loi donne déjàde larges pouvoirs àla police. En revanche, en l’absence de contrôle réel, la police bénéficie d’une impunité de fait.

RAPPORT D’AMNESTY INTERNATIONAL 1994 - extrait) :

« L’objet du présent rapport est de démontrer, par des exemples précis, comment, de l’avis d’Amnesty International, la France néglige ou viole ses obligations de droit international. L’inquietude de l’opinion publique au sujet du recours excessif àla force et aux armes àfeu a atteint son comble en avril 1993 lorsque, au cours d’incidents distincts, la police, en l’espace de trois jours, a tire sur trois jeunes non armés, dont deux mineurs, détenus par elle, et les a tués. Ces morts ont été suivies de désordres publics importants qui ont eux-mêmes donné lieu àde nombreuses allégations de mauvais traitements par la police. (...)

Le présent rapport passera en revue 12 cas distincts d’usage d’armes àfeu par des agents de la force publique, dont 11 se sont produits au cours de la période de 18 mois qui a pris fin en juin 1994. Il en exposera les circonstances et mentionnera les mesures prises par le systeme judiciaire. Dans sept des 11 cas, les victimes avaient une origine ethnique non européenne, tous étaient des adolescents ou de jeunes adultes et trois etaient des mineurs  » (document complet).

La Ligue des droits de l’Homme (LDH), le syndicat des avocats de France (SAF) et le syndicat de la magistrature (SM), alertés par leurs militants et sollicités par des témoins, àpropos de comportements policiers susceptibles de constituer des infractions àla déontologie des forces de l’ordre et, éventuellement des infractions pénales, ont désigné une commission de quatre membres pour enquêter sur trois affaires intervenues entre novembre et décembre 2001.

- C - RECITS D’EVENEMENTS RECENTS

Dans certains cas, on a pu observer un acharnement répressif qui vise particluièrement certains mouvements politiques.

  • Récits de l’acharnement répressif àl’encontre de Ahmed Meguini, et des militants de « No Border  » : démonstrations de force de la police lors des manifestations, condamnation et mmise àl’isolement de Ahmed meguini sur la base de témoignages policiers contradictoires, inculpation pour « séquestration  » et « prise d’otage  » contre des militants occupant pacifiquement une annexe du ministère de la Justice.
  • « J’étais àNo Border  » par Roland Bavard (Politis).
  • « Détenu en isolement total pour ses idées politiques, un militant non-violent àParis est accusé de s’être transformé en casseur àStrasbourg  » in L’humanité 23 Aoà»t 2002.
  • Faits relatés par le journal local Les Dernières Nouvelles d’Alsace (compilation des articles de presse sur demande).
  • Récits de l’acharnement répressif contre Mohamed Berrichi et l’association « Bouge qui Bouge  » : Abdelkader Berrichi est le frère de Mohamed Berrichi (28 ans), décédéle 23 mais 2002 lors d’une course-poursuite avec la Brigade anti-criminalité de Dammarie-lès-Lys, ville dans laquelle s’étaient produites de violentes émeutes en 1997, àla suite de la mort d’Abdelkader Bouziane (16 ans), tué d’une balle dans la nuque par un policier (voir rapport d’Amnesty International 2002). Berrichi est également le président de l’association Bouge qui Bouge, qui a organisé les protestations publiques et la mobilisation autour des violences policières àDammarie les Lys, durant tout l’été 2002, et dont le local avait été l’objet le 24 juin 2002 d’une expulsion de grande envergure (plus de deux cents policiers requis), suscitant l’approbation déclarée du ministre de l’Intérieur M. Sarkozy. A lire sur HNS : 1 - 2 - 3 - 4.
  • Chroniques de la violence policière ordinaire lors des deriers mois : depuis les dernières élections présidentielles on a pu noter de nombreuses provocations policières, et des comprtements violents àl’encontre des populations minoritaires ou marginalisées. Les altercations (provoquées par qui, àvotre avis ?) conduisent directement àla case prison...
    • Intervention policière violente pour disperser la fin d’un concert punk. Gazage, matraquage et interpellation. Garde àvue de 2 jours, puis comparution immédiate pour outrages sur agent de la force publique et violence pour l’une d’entre elle. A l’issue de ce procès, 2 des 5 personne ont été condamnés à600 euros d’amende chacun + 3 mois de sursis pour un, quand aux trois autres, ils ont gagné un billet pour la case prison pour une durée de 2 mois pour 2 et 4 mois pour le dernier ! A lire sur HNS.
    • Suite àune soirée festive, dans la nuit du jeudi 4 au vendredi 5 juillet 2002, des militant-es et des sympathisant-es d’Anaram au Patac (mouvement révolutionnaire de la gauche occitane) ont été agressés par des policiers. Insultes fascistes, homophobes et sexistes ont accompagné les coups. Un militant a été violemment frappé au visage, le choc éclatant la pommette et touchant l’oeil. Une jeune femme s’est fait cracher au visage par un policier, une autre a été traînée par les cheveux. Tous ont été traités de « parasites de la société  », de « sales chômeurs  » alors qu’ils travaillent ! A lire sur HNS : 1 - 2 - 3.
    • Un groupe de jeunes, accompagnés de leur éducateur, sont rassemblés devant un local associatif de Villefranche-sur-Saône. Des policiers arrivent pour un contrôle d’identité. Ils disent avoir été injuriées et empêchées de faire correctement leur travail. Cinq jours plus tard, trois de ces jeunes sont interpellés avec l’aide du Groupe d’Intervention de la Police Nationale (GIPN) et déférés en comparution immédiate, devant le tribunal correctionnel de Villefranche-sur-Saône, pour « incitation àla rébellion armée  ». Bilan : de 30 mois à3 ans d’emprisonnement pour deux d’entre eux, âgés de 18 et 20 ans. A lire sur HNS.
    • La police tue ... encore : MARCHE À CHATENAY-MALABRY, SAMEDI 21 SEPTEMBRE 14 HEURES. Marche àChatenay-Malabry suite àla mort d’un homme, le 6 septembre entre les mains des policiers qui l’interpellaient. Samedi 21 septembre 14 heures. A lire sur HNS.
    • Le 14 juin, une fête est en préparation dans le 9e arrondissement de Lyon, àl’heure de la sortie d’école. Un animateur de quartier est enlevé manu militari par deux individus armés alors qu’un troisième tient en respect la foule àl’aide d’un fusil àpompe et fait feu... Ce sont des policiers... L’animateur de quartier sera relâché en fin de soirée avec une incapacité totale de travail personnel de huit jours mais il n’en saura pas davantage sur les raisons et les suites judiciaires de son arrestation. A lire.
    • Violences policières : impunité pour les tortionnaires ? A Nice, le 1er octobre 2001, un militant libertaire de 54 ans, Daniel Milan, a été tabassé par des policiers àson domicile, cité des Moulins. Il a reçu des coups de poing et des coups de pied de partout, des coups de rasoir dans le dos, et jusqu’àdes tentatives de strangulation. (...) Daniel Milan a porté plainte, les policiers tortionnaires ont été identifiés. Mais ils ne sont toujours pas inculpés... A lire sur HNS.

- Suivent trois fiches techniques sur les lois sécuritaires (en place et en projet), transmises par Georges da Costa sur la liste « Résistons ensemble  ».

  • Loi de Sécurité Quotidienne (LSQ) :
    La Sécurité est érigée en droit absolu. Sous prétexte de parer aux menaces du terrorisme, cette loi permet de contrôler, arrêter et enfermer tout criminel potentiel avant qu’il ne commette son acte, bafouant ainsi les libertés et les droits fondamentaux.
    • 1/ La fouille des véhicules peut s’effectuer sur simple réquisition écrite du Procureur de la République et ce, même en l’absence de son propriétaire.
    • 2/ Dans le cadre d’une enquête préliminaire, les perquisitions àdomicile sont rendues possibles sans le consentement de la personne concernée.
    • 3/ Elargissement des prérogatives policières aux vigiles, personnel de sécurité ou de transport de fonds qui peuvent désormais procéder àdes fouilles de bagages et des palpations corporelles sans la présence d’un officier de police judiciaire (dans les aéroports, zones portuaires, gares ou autres lieux...).
    • 4/ La criminalisation de la misère est officielle. La circulation dans les transports en commun sans titre de transport devient un « crime  » passible de prison (6 mois), d’amendes (7500 euros) et motif àfichage systématique. Les personnes susceptibles « de troubler l’ordre public  » pourront être contrôlées et débarquées par les agents d’exploitation des compagnies de transport.
    • 5/ Les bases de données numériques des opérateurs en télécommunication (internet, fax et téléphone) sont accessibles aux services de renseignements pendant une période pouvant aller jusqu’àun an. Làencore, il n’y a pas de contrôle judiciaire effectif, ni de possibilité de s’opposer àl’utilisation commerciale qui pourra être faite par les opérateurs.
    • 6/ En cas de suspicions policières, celui qui crypte ses messages est obligé de remettre àl’Etat les clefs permettant de les déchiffrer sous peine de 2 ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende.
    • 7/ Criminalisation des rassemblements de personnes : un rassemblement de plus de 5 personnes, dans les cages d’immeubles et ailleurs, est désormais considéré comme un délit.
    • 8/ Soumission des rassemblements musicaux àune déclaration préalable àla préfecture.
    • 9/ Consultation des fichiers informatiques de données personnelles àcaractère judiciaire possible dans le cadre d’enquêtes administratives.
    • 10/ Elargissement du domaine du fichier national des empreintes génétiques, relevées et conservées pendant 40 ans, àtoute une nouvelle et considérable série d’infractions : vol par effraction, détention de stupéfiants, etc. Si une personne refuse de donner ses empreintes génétiques, elle est passible de six mois d’emprisonnement et de 7 500 euros.
  • Loi d’Orientation et de Programmation pour la Justice (LOPJ) dite Loi PERBEN  :
    • 1/ Sabotage de la loi sur la présomption d’innocence : la détention provisoire devient la règle. De nombreuses mesures visent àannuler certaines dispositions de la loi sur la présomption d’innocence. Par exemple :
      • en cas de refus d’incarcération, le juge devra motiver son refus immédiatement au parquet. Le parquet pourra faire appel grâce àun « référé-détention  » permettant de suspendre la remise en liberté ;
      • abaissement généralisé àtrois ans du seuil de la peine d’emprisonnement encourue pour que la détention provisoire soit ordonnée ou prolongée (ce seuil était, avant la loi, de 5 ans dans le cadre de l’atteinte aux biens) ;
      • instauration d’un « référé-détention » qui permet au Parquet de stopper la remise en liberté d’un détenu décidée par le juge des libertés et de la détention
    • 2/ Témoignages anonymes quasi généralisés : cette mesure existait déjà : elle avait été introduite de manière dérogatoire par la LSQ pour la « protection des témoins  ». La loi Perben étend le champ de compétence juridique de ce texte àpresque tous les délits (l’écrit antérieur limitait cette possibilité aux crimes et aux délits graves punis d’au moins cinq ans d’emprisonnement).
    • 3/ Généralisation de la comparution immédiate : ces jugements expéditifs en audiences surchargées sont étendus àtous les faits passibles de 6 mois à10 ans de prison (et même vingt ans en cas de récidive).
    • 4/ Une justice des mineurs saccagée : réforme de l’ordonnance de 1945, texte fondateur de la justice des mineurs, dont le principe de base était la primauté de l’éducatif sur le répressif :
      • possibilité de détention provisoire à13 ans pour les mineurs suspectés de délits ;
      • possibilité d’être condamné pénalement dès l’âge de 10 ans ;
      • création de centres fermés pour les mineurs délinquants ;
      • possibilité de comparution immédiate pour les mineurs ;
      • garde àvue pour les mineurs de 10 à13 ans dès lors qu’ils risquent une peine de 5 ans (contre 7 ans auparavant) ;
      • suppression des allocations familiales pour les parents dont l’enfant délinque ;
      • punition de six mois de prison et 7 500 euros d’amende les outrages aux enseignants, assimilant ces derniers àdes agents de la force publique.
    • 5/ Recrutement de 3300 « Juges de proximité  » : sans statut protégeant leur impartialité et avec une compétence judiciaire très étendue, ils seront les juges des petits litiges concernant une grande partie des français. A la fois juges d’instance pour les affaires civiles et juges en matière correctionnelle pour les petits délits les plus courants, ils seront soumis aux pressions sociopolitiques locales.
    • 6/ Création de 110 000 places supplémentaires dans les prisons : pour les mineurs, de nouveaux quartiers mineurs seront créés et par conséquent, le nombre de places au niveau national passera de 850 à1700.
    • 7/ 10 000 nouveaux postes pour la Justice, dont 4000 pour l’Administration pénitentiaire
  • PROJET - TEST DE LOI SARKOZY

Le 23 octobre, Sarkozy devrait présenter en Conseil des Ministres un projet de loi introduisant notamment de nouveaux délits visant largement les populations précarisées. L’idée est bien de placer toute la population sous surveillance.

La loi permet àla police de :

  • procéder aux croisement des plus grands fichiers de données informatiques,
  • généraliser le relevé des empreintes génétiques,
  • filmer les espaces publics,
  • permettre la perquisition àdistance des ordinateurs,
  • fouiller les coffres de voiture dans les affaires de vol ou de recel,
  • ficher préventivement les personnes mises en cause dans des affaires judiciaires.

De nouveaux délits sont créés :

  • Délit de mendicité : 6 mois de prison et 7500 euros d’amende si sollicitation (même contre prestation de service), àpartir de 2 personnes, de façon agressive, avec un mineur, avec un animal, gêne des piétons ou des véhicules. Les personnes en grande exclusion sociale, les artistes de rue, les associations et collectifs qui quêtent, les vendeurs àla sauvette sont visés par ce texte dès lors qu’ils produisent un « trouble àl’ordre public  ».
  • Délit d’installation dans un bien immobilier d’autrui : sst visée toute installation de terrain, local, logement, champs, chantier, entreprise, administration, car seuls la voie publique et les espaces publics ne sont pas des propriétés privées. « L’installation  » peut être durable ou temporaire.Les artistes ou les jeunes qui occupent une friche, les sans logis qui « s’installent  » par nécessité dans des logements vacants, les jeunes, les SDF qui « s’installent  » dans des caves ou des abris précaires, les gens du voyageou les immigrés qui « s’installent  » sur des terrains en friche, les ravers qui « s’installent  » pour la nuit, les campeurs occasionnels qui plantent leur tente dans un champs, les salariés qui occupent leur entreprise, les associations et collectifs de défense qui s’installent dans des chantiers, des administrations, des sièges sociaux, les sans terre qui s’installent dans des fermes inexploitées, les locataires sans statut (locations au noir, sous locataires, occupants du chef, victimes d’escrocs), tous et toutes tombent sous le coup de ce projet de loi et risquent jusqu’à6 mois de prison et 3000 euros d’amende. Un exemple : une violation de propriété avec un véhicule peut entraîner sa confisquation et la suspension permis de conduire pendant 3 ans.
  • Délit de racolage : 6 mois de prison et 7500 euros d’amende pour une attitude sur la voie publique incitant àdes relations sexuelles.