Table ronde n°1 du Forum

« Un revenu et des droits pour exister ! »
dimanche 17 avril 2016

TABLE RONDE N°1 : POUR UN NOUVEAU STATUT DU SALARIẺ OU DU PRODUCTEUR

- Mathieu Grégoire, sociologue
Quelques pistes de réflexion pour une nouvelle assurance-chômage
- Christine Jakse, Réseau salariat
Salaire à vie et maîtrise de la valeur créée
- Catherine Lebrun, U. S. Solidaires
Contre le chômage, la précarité : de la nécessité d’articuler un ensemble de propositions. Pour un nouveau statut du salarié, comme réponse aux licenciements.
- Alain Véronèse, sociologue, membre d’AC !
Travail, robolution et revenu de base.
Le revenu de base et l’exigence d’une RTT massive (à 32 H ou moins)
- Samuel Churin, CIP
Le nouveau modèle d’indemnisation du chômage proposé par la Coordination des
Intermittents et précaires pour tous les chômeurs

REVENU DE BASE, SALAIRE A VIE, SẺCURITẺ SOCIALE PROFESSIONNELLE…
QU’EN PENSENT LES MEMBRES D’AC ! ?

INTRODUCTION

Les raisons pour AC ! d’appeler à tenir ce forum ont été nombreuses. En 2014, nous avons fêté les 20 ans des Marches d’AC ! (Voir le livre paru chez Syllepse). Nous avons rendu à cette occasion hommage à Claire Villiers et à plusieurs autres personnes décédées depuis 20 ans. Nous étions aussi inquiets à cause de la situation dans ce pays, car il y a urgence à organiser une riposte face à la montée du chômage et de la précarité, à agir par tous les moyens possibles pour obtenir une indemnisation correcte du chômage.

Le point sur la situation du chômage et les politiques de précarisation

Nous sommes dans une situation historique désastreuse ; depuis 40 ans se développent un chômage et une précarité de masse : 5,7 millions d’inscrits à Pôle emploi en août 2015 – sans compter des dizaines milliers de personnes radiées ou qui n’osent plus s’inscrire – soit près de 20 % de la population active, et moins de la moitié de ces personnes sont indemnisées. Depuis 2009, avec la création de Pôle emploi et la mise en place du RSA, les contrôles, radiations et sanctions sont devenus incessants. Les services de Pôle emploi n’arrivent plus à faire face ; de plus ils sont eux-mêmes très menacés du fait de restructurations et d’une externalisation des activités de placement des demandeurs d’emploi. La déshumanisation est tellement forte, les chômeurs sont tellement mal reçus - surtout dans les régions à fort taux de chômage - que certains chômeurs se retrouvent mis en danger quand ils vont à Pôle emploi, et ce serait encore pire en cas de victoire de la droite aux prochaines élections régionales.
Plusieurs occasions de rejeter les politiques néolibérales ont été manquées par la gauche, en 1981-84, en 1997-2002, en 2012-15… Les gens ne croient plus à la gauche. Les hommes politiques de droite comme de gauche nous présentent la montée du chômage comme une fatalité contre laquelle on ne pourrait rien faire - sinon en s’en prenant aux premières victimes de la situation : les chômeurs eux-mêmes, rendus responsables de leur situation.
Il est donc indispensable aujourd’hui de réaffirmer des valeurs humanistes de gauche, d’exiger la mise en place d’un système alternatif d’indemnisation du chômage et d’un statut du salarié ou du producteur qui permette de sortir de la précarité des conditions d’existence, et même du capitalisme.
L’action du gouvernement PS depuis 2012 fait totalement le jeu du patronat et du néolibéralisme. Avec les politiques d’austérité, le Pacte de responsabilité, le Crédit Impôt Compétitivité Emploi, la promulgation de lois très néfastes pour le salariat. La loi Macron qui développe énormément le travail en soirée et le dimanche, la loi dite de « sécurisation de l’emploi » de juin 2013, qui a rendu les licenciements encore plus faciles même pour les salariés en CDI ; la loi sur le dialogue social (loi Rebsamen) qui vise à restreindre la représentation syndicale dans les entreprises... Au total, on a beaucoup de flexibilité, en échange de très peu de sécurité pour les salariés.
A présent, le rapport Combrexelle va déboucher sur un nouveau texte de loi (El Khomri) visant à favoriser le développement des accords d’entreprise au détriment de l’application du Code du travail… Le gouvernement poursuit donc la destruction du Code du travail et de la protection sociale, qui a été entreprise par les gouvernements précédents depuis 30 ans.
Seules les activités financières ont repris depuis la crise de 2008-09. Les investissements et l’emploi sont au point mort. Les politiques sont caractérisées par la domination du capital financier, des logiques de la rente et du placement de capitaux. Il n’y a pas de logique d’investissement ou de création de richesses. L’essentiel de la production industrielle se fait de plus en plus dans des pays dits « émergents », même pour des activités qui nécessitent des technologies de pointe, comme l’informatique…

Qu’a fait le gouvernement Hollande face à la montée du chômage ?

L’ex-ministre du travail Rebsamen a agréé la convention Unedic du 22 mars 2014, qui a introduit un délai de carence pour la perception d’indemnités de chômage en cas de licenciement, puis des « droits rechargeables » et de nouvelles règles de cumul allocations-salaire. Quelques miettes ont été obtenues, en ce qui concerne la transférabilité des droits sociaux d’une entreprise à une autre, en ce qui concerne la formation, les complémentaires-santé ; mais la situation est devenue très confuse, en matière de calcul des indemnités de chômage, avec le nouveau système des « droits rechargeables ».
Les maigres droits transférables proposés en 2014 ne visent qu’à faire passer la pilule de nouveaux plans de licenciements massifs. Les régressions impliquées par cet accord pour certaines personnes ont été telles que le Conseil d’Etat a annulé la Convention Unedic, suite à un recours déposé par plusieurs associations. Cela montre que les intermittents, les chômeurs et les précaires ont eu raison de se mobiliser pendant l’année 2014 et que la lutte peut payer ! Les intentions du patronat et du gouvernement pour la prochaine négociation de 2016 seraient de réintroduire la dégressivité des allocations, voire de supprimer les annexes 8 et 10 ou de les vider de contenu. L’allocation de RSA a été refondue avec le dispositif de la prime pour l’emploi, pour créer une nouvelle prime d’activité, ce qui permet de comprimer les dépenses liées à ces deux dispositifs.
L’indemnisation du chômage et le RSA génèrent de plus en plus de contrôles, de radiations, d’interruptions des allocations, d’« indus », de « trop-perçus », etc. Un nouveau corps de contrôleurs va même encore durcir la situation. De nombreux bénéficiaires potentiels du RSA ne le réclament même pas.
Les réformes du régime d’indemnisation du chômage et du système de sécurité sociale ont contribué depuis 30 ans à accentuer la division de la population en multiples catégories, avec une partie en situation de précarité permanente. Concernant plus généralement la sécurité sociale, quelques « avancées » ont eu lieu en apparence, comme le tiers payant ou l’obligation de complémentaires de santé financées par les employeurs. Toutefois, ceci s’accompagne de la poursuite du démantèlement du régime général, et permet de faire accepter une mainmise des assurances privées.
Le gouvernement actuel n’a aucun projet de société alternatif ; ses choix visent clairement la défense du capitalisme, quel qu’en soit le coût humain et social. Les logiques d’assurances privées visent ainsi à renforcer l’adhésion des salariés au système capitaliste. Les systèmes « par capitalisation » rendent nécessaires des taux de rentabilité élevés, au détriment des salaires. Parallèlement, la gauche commet une erreur politique, en renvoyant les individus à des formes de solidarités privées, familiales, voire communautaires - ce qui est en contradiction avec tout son discours sur la laïcité.
Dans beaucoup d’entreprises, le patronat a choisi de privilégier des formes de travail de plus en plus standardisées, qui détruisent toute créativité et toute initiative. L’appauvrissement du travail s’accompagne d’une destruction des collectifs de travail et d’une grande souffrance des salariés, avec beaucoup de dépressions et de suicides.
Avec les politiques d’austérité, le gouvernement n’a fait que bloquer la croissance et les salaires et le développement de l’emploi. Les emplois aidés ont stagné, les subventions au secteur associatif sont en diminution, de même que les reversements aux collectivités territoriales, qui devraient être faits en raison de la décentralisation et du transfert à ces collectivités de nombreuses charges concernant les budgets sociaux et la formation. Quant au secteur public, un départ en retraite sur deux n’est pas remplacé. Une précarisation accrue se développe dans le public comme dans le privé, ce qui entraîne de nombreux conflits : postes, hôpitaux, éducation, nettoyage, sous-traitance hôtelière, chaînes de distribution et un peu partout...

Vers la fin du salariat ?

Il y a 20 ans, on nous parlait de la « fin du travail », aujourd’hui, beaucoup de gens de tout bord, de droite comme de gauche, nous parlent de la « fin de l’emploi ». L’extension des nouvelles technologies est présentée comme la cause majeure de ces évolutions, mais en réalité ce n’est pas la seule, il y a autre chose derrière.

Car les exigences du patronat vont encore bien plus loin : il s’agit ni plus ni moins que d’arriver à une déréglementation totale, à la « fin du salariat », pour autant que ce système a permis, depuis 150 ans, la construction de protections et de droits collectifs. A en croire certains, nous deviendrions tous bientôt des producteurs indépendants, des autoentrepreneurs contraints de vendre leurs services au jour le jour, à la semaine ou au mois. Il s’agit d’instaurer une « flexibilité totale » et de développer tous les statuts qui permettent le contournement des obligations sociales : la sous-traitance en cascade, les contrats de mission, les contrats à « zéro heures » comme en GB, les faux travailleurs « indépendants », les salariés détachés d’un pays à un autre, le travail bénévole sinon gratuit, notamment dans les associations (puisqu’une grande partie du travail social est fait bénévolement dans des associations, pour palier les insuffisances des services publics...) Il s’agit aussi d’une dualisation de plus en plus rigide de la société, qui ne laisse finalement d’emploi « garanti » qu’aux postes d’encadrement au service de la classe dirigeante.

Les propositions du mouvement des chômeurs et des précaires

Face à ces politiques de destruction du monde salarié, il faut rappeler que depuis 20 ans, un mouvement de lutte contre le chômage et la précarité regroupant des salariés, des chômeurs et des précaires, des syndicalistes, a existé et n’a jamais cessé de travailler et de réfléchir, pour proposer d’autres solutions face à la crise et au chômage. Il doit trouver les moyens aujourd’hui de se faire entendre.

Il est nécessaire de se référer aux textes juridiques concernant les droits fondamentaux et sociaux, pour la population. Des articles du préambule de la Constitution française de 1946 ont affirmé le droit de tout individu à un emploi ou à un revenu de remplacement qui lui permette de vivre dignement. Ils affirment également le droit au logement, à la santé, à l’éducation... Tous ces droits restent pour le moment sur le papier ! Il faut en obtenir l’application.

La précarité a connu un développement très massif et sa composition sociologique a changé : des précaires de plus en plus qualifiés et diplômés, issus des classes moyennes. De plus en plus alternent en permanence des situations de chômage, de formation, de contrat précaire, et n’ont jamais connu l’emploi stable. La diversité des propositions en matière d’indemnisation du chômage reflète en partie cette diversité des associations, des collectifs et des situations de leurs adhérents. Nous savons bien qu’il y a une multitude de situations différentes, mais nous pensons qu’il peut être possible aujourd’hui de faire converger les différentes propositions, comme nous avions déjà essayé de le faire à plusieurs reprises depuis 20 ans.

Au moment de la naissance d’AC !, créé par des syndicalistes, des intellectuels et des membres des associations de chômeurs, et dans les années qui suivirent, ce mouvement a avancé plusieurs revendications essentielles :

- Une Réduction du temps de travail massive à 32 H
- Un fonds social d’urgence d’aide aux chômeurs, pour remédier aux situations difficiles
- l’accès aux soins de santé, aux transports et aux fluides gratuit pour les personnes à faibles revenus
- L’augmentation des minima sociaux vers le Smic
- La création d’un revenu garanti avec ou sans emploi, dès l’âge de 16 ans.
A partir de la fin des années 1990, la revendication d’un revenu garanti est apparue comme de plus en plus essentielle, étant donné l’allongement du chômage, le nombre de personnes qui arrivaient en fin de droits, sans perspectives de retour à un emploi stable et décent…

Il est donc nécessaire de remettre à plat cette discussion autour des différentes propositions d’un nouveau système d’assurance-chômage et même d’un nouveau statut du producteur :
- Dans AC !, nous avions mené cette discussion dès la fin des années 1990, il s’agissait alors de la revendication d’un Revenu garanti individuel et mensuel au moins égal au Smic pour toute personne en âge de travailler.
- En 2004 la CIP, face à la remise en cause des annexes 8 et 10, élaborait une proposition d’un nouveau système d’indemnisation du chômage.
- Entre 2006 et 2009, le Collectif pour des droits nouveaux (qui comprenait toutes les associations de chômeurs et de précaires – AC !, APEIS, MNCP, CIP, Stop précarité, Génération précaire…) avait élaboré une plate-forme qui a été signée par toutes les associations. Elle fait référence non seulement à une garantie d’un revenu individuel et mensuel défini par référence au Smic, mais aussi à la continuité des droits sociaux (couverture santé, retraite, formation professionnelle) même en dehors des périodes d’emploi… Elle préconise la création d’un Fonds mutualisé entre différentes branches et différentes entreprises, afin de couvrir toutes les situations. A l’époque, nous nous étions prononcés en faveur d’un système unique, contre la division entre assurance et assistance… Nous nous étions rapprochés de l’idée d’un « salaire socialisé », garantissant le salaire inconditionnellement en dehors des périodes d’emploi.
- En 2014, la nouvelle lutte des intermittents du spectacle, et le travail de Mathieu Grégoire à cette occasion, ont permis de mettre à nouveau sur le devant de la scène ces revendications.

Nous sommes reconnaissants à l’association Réseau salariat représentée ici par Christine Jakse, à la Coordination des intermittents et précaires et à Mathieu Grégoire, sociologue, d’avoir continué à porter ce thème revendicatif d’un salaire socialisé, et en même temps de la nécessité d’un système d’indemnisation du chômage unique, qui soit satisfaisant pour tous les demandeurs d’emploi. Nous ne voulons pas de dispositifs qui enferment de larges parties de la population dans la pauvreté et l’exclusion, ou qui visent à faciliter de nouveaux plans de licenciements massifs. De même que nous refusons toutes les formes de discrimination - de sexe, de race, d’origine ethnique - et de dualisme de la société.
Nous ne devons pas être aveugles à la question du genre. Les femmes ont toujours été nombreuses dans le mouvement des chômeurs, elles y ont joué un grand rôle et veulent avoir les mêmes droits que les hommes, notamment en matière d’accès à l’emploi, de progression professionnelle... Quelles que soient les propositions que nous serons amenés à formuler, elles devront permettre d’aller vers davantage d’égalité entre les femmes et les hommes, de lutter contre la division sociale et sexuelle du travail.

En conclusion, nous avons plusieurs objectifs avec ce forum. Nous souhaitons qu’il permette des confrontations indispensables et d’apporter des clarifications, afin que chacun puisse se faire son opinion au sujet des différentes propositions en présence. Nous souhaitons également réfléchir à une plateforme de revendications commune à toutes nos associations et aux syndicats de Pôle emploi. Nous souhaitons enfin interpeller les partis politiques en vue des prochaines élections…

Odile Merckling, pour le Secrétariat d’AC !

(suite sur le pdf)