Fonder, enfin, une société solidaire

par Claire Villiers
samedi 16 septembre 2000
par  le réseau d’AC !

La convention UNÉDIC faisant suite àl’accord patronat-CFDT-CFTC n’a pas été agréée par le gouvernement. Contrairement àce que disent les signataires : heureusement pour les chômeurs et tous les salariés !

- Car sous le vernis de « l’aide àl’emploi  », c’est le bâton de la contrainte àaccepter n’importe quel emploi précaire qui pointe,
- Car sous la « refondation sociale  », c’est la poursuite de la destruction des principes fondamentaux de solidarité àla base de toute notre Prévoyance Sociale, la poursuite de la dénaturation et de l’asservissement des Services Publics àla rentabilité et au libéralisme, la poursuite du développement de la précarisation du travail et des conditions de vie, qui cherchent encore àgagner du terrain.

Il ne s’agit plus aujourd’hui de se contenter de gommer les aspects les plus outranciers de l’accord du 14 juin, ou d’en rester àla convention de 97. Le système de couverture solidaire contre le risque de chômage UNEDIC-ASSEDIC a failli pour au moins trois raisons :

- Il n’assure pas la mission d’indemnisation de tous les chômeurs qui lui a été confiée lors de sa création en 58 : 60 % des chômeurs inscrits en sont exclus. Il n’indemnise même pas une partie de ceux qui cotisent pourtant au régime. Les conditions d’ouverture de droits (4 mois dans les 8 mois) font que ce sont les jeunes et les précaires qui sont le plus exclus : ce système n’assure même pas une protection par rapport aux conditions de la flexibilité que le patronat ne cesse d’appeler de ses vÅ“ux. Pour cette raison au moins, la totalité des cotisations actuellement perçues, et sans diminution de leur taux, doit être prioritairement affectée àl’indemnisation de tous les chômeurs.
- La dégressivité des allocations, les conditions d’ouverture de droits plus restrictives, le taux des allocations servies, tout ceci a conduit àune indemnisation du chômage qui ne permet pas de choisir réellement l’emploi que l’on veut reprendre, et ne permet donc pas de résister aux conditions précarisées de l’emploi développées par le Patronat, et malheureusement institutionnalisées par les politiques publiques de l’Emploi (aides publiques au temps partiel, emplois aidés, emplois-jeunes..). Pour des centaines de milliers de salariés en France, la norme de travail n’est plus le CDI, le temps plein et le SMIC, mais le CDD, le temps partiel et le demi-SMIC. C’est sans doute un des buts du Patronat, il est dommage que certaines organisations syndicales l’aient fait leur. Les signataires affirment même que c’est l’association « reprise d’activité créatrice d’emplois + recul sensible du chômage  » qui nécessite un « nouveau dispositif incitatif àla reprise d’emploi  » (art. 2 du protocole) . Traduction ànotre avis : un nouveau dispositif incitatif àne pas pouvoir négocier sa reprise d’emploi dans des conditions de plus en plus précaires. Pas question non plus d’augmenter les minima sociaux : ce serait « désinciter les chômeurs àreprendre le travail  ». Indemnisation solidaire du chômage, lutte contre la précarisation du travail (et de la formation) sont étroitement imbriquées. C’est ensemble qu’il faut les aborder.
- Loin du système d’intérêt général démocratique et transparent qu’il devrait être, l’UNÉDIC est devenu le prototype même du système anti-démocratique (faut-il rappeler ici que le paritarisme est une délégation de l’Etat permettant de gérer une activité d’intérêt général qui, dans d’autres secteurs, relève du Service Public ?)

Le « paritarisme  » accorde au Patronat une présence et un pouvoir totalement exagérés au sein de l’UNÉDIC (les cotisations sociales, part solidaire de leur salaire que les salariés consacrent àcouvrir les risques des aléas de la vie ne proviennent-elles pas uniquement et exclusivement de leur travail ?). Chaque Confédération syndicale a un poste quelle que soit sa représentativité, par contre certains syndicats (représentatifs, eux) ne sont pas admis, les représentants ne sont jamais élus, pire : aucun syndicat, àpart la CGT, n’a de structure propre représentant et organisant les chômeurs, et pourtant les associations de chômeurs sont exclues du système. Dans ces conditions, le Patronat fait la loi par le jeu d’alliances avec tel ou tel. Son chantage àla « sortie du paritarisme  » a fait long feu. En effet comment croire un seul instant que le Patronat, pour qui la gestion "paritaire" représente depuis plus d’un siècle l’antidote àune gestion directe par les ayant-droits ou par l’Etat pouvait mettre ses menaces àexécution ?

Enfin, en matière d’aide au retour àl’emploi, les ASSÉDIC n’appliquent même pas leurs propres textes puisqu’elles ne font pas de réel bilan avec les allocataires tous les 4 mois et qu’elles ont supprimé leurs conseillers àl’emploi, il y a déjàplusieurs années. Sans compter la quasi-suppression de fait des fonds sociaux d’urgence en juillet 97 qui justement étaient destinés aux publics les plus en difficulté !

Alors que faire ?

Il faut revendiquer un système offrant une réelle protection sociale solidaire dans une continuité de droits entre emploi-formation-chômage. Il s’agit aussi d’abord d’offrir des garanties permettant de résister àla logique libérale du tout-précaire, et permettant de négocier des conditions d’embauche (salaires et conditions de travail) et de formation correspondant àses choix et àsa qualification. (Le triptique : compétences-aptitudes-capacités que contient la CARE [1] ne vise-t-elle pas àéchapper àtoute norme d’emploi négociée collectivement ?)

- Un tel système unifié solidaire doit reposer sur des droits individuels garantis en droit pour tous, ne pas exclure les jeunes sans références de travail et intégrer les minima sociaux tels l’ASS ou le RMI qui sont de fait des allocations-chômage . Il doit bien entendu prendre le SMIC comme référence minimale, ce qui porterait un coup àla progression des temps partiels imposés dont les femmes sont les principales victimes.
- Il faut cesser de faire de plus en plus porter sur le budget de l’Etat et donc principalement sur les ménages, dans le cadre d’un système fiscal profondément injuste, les conséquences des choix de gestion de la main d’Å“uvre des entreprises.
- Ce Système Unifié de Revenu Garanti , associant Indemnisation du Chômage, Emploi (ANPE) et Formation (AFPA) devrait se concrétiser par une « charte de service public  », sorte de loi-cadre débattue àla fois par le Parlement et par toutes les forces concernées (patronat-syndicats-organisations de chômeurs et précaires) qui fixerait àla fois les principes de gestion et le financement.

Concernant le financement, il pourrait reposer àla fois sur les cotisations solidaires des salariés, sur des fonds d’Etat et sur un prélèvement des entreprises qui tienne compte non seulement de la masse salariale, mais aussi de la valeur ajoutée, et qui taxe les profits et dividendes versés aux actionnaires, et pénalise les gestions de main d’oeuvre renforçant précarité et temps partiel.

Concernant la gestion, ce système « de Service Public  » doit reposer sur des bases démocratiques : l’accord issu de négociations entre toutes les forces concernées pourrait être soumis àratification des salariés, des chômeurs, des précaires, voire de toute la population puisqu’il s’agit de mettre en Å“uvre un système qui influe sur la norme d’emploi. (Un tel type de « référendum  » devrait motiver plus que d’autres !).

Le système unifié devrait assurer par le biais d’élections régulières la possibilité pour les salariés, pour les chômeurs et précaires, et aussi pour les salariés des institutions concernées, de contrôler la mise en Å“uvre de l’accord, voire d’influer pour son amélioration et d’intervenir au quotidien sur les services rendus. (Sait-on qu’àl’aube du XXIème siècle, les ASSÉDIC interdisent tout panneau d’affichage et toute diffusion d’information aux chômeurs par les organisations syndicales ou de lutte contre le chômage ?)

De telles propositions - et d’autres sans doute - doivent être débattues d’urgence. C’est pour cette raison que nous pensons que le gouvernement, qui est garant de l’application de la Constitution (« garantir le droit àun emploi et àdes moyens convenables d’existence àtous  ») doit réunir d’urgence une table-ronde de toutes les forces concernées.

par Claire Villiers - militante syndicaliste et àAgir ensemble contre le Chômage - septembre 2000.


[1Contrat d’Aide au Retour àl’Emploi


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