Sur le chômage en Irak...

Irak
mercredi 9 juin 2004
par  le réseau d’AC !

Les estimations officielles admettent qu’au moins 40 % de la population est actuellement au chômage. Pour les organisations de chômeurs et de chômeuses, ce taux serait de l’ordre de 70%. En l’absence de système de contrôle social, l’évaluation précise est difficile, mais dans tous les cas, il est évident que le chômage est massif. La démobilisation de l’une des plus vastes armées du monde, relativement àla population du pays, le grand nombre de réfugié-es de guerre, l’obsolescence des structures industrielles, l’échec total de la politique agricole de l’ancien régime, sont autant de cause de cette situation sociale. A l’heure actuelle, ces chômeurs et chômeuses ne bénéficient d’aucune législation sociale, d’aucune forme d’indemnisation, d’aucune source de revenus. C’est dans ce contexte que le 1er mai 2003, juste après l’entrée des troupes coalisées dans Bagdad, une vingtaine de chômeurs, réunis dans le bâtiment qui servait auparavant de siège àla défunte « Fédération générale des syndicats irakiens  », organe de l’ancien régime, ont formé « l’Union des chômeurs en Irak  », présidée par Qasim Hadi. Le mouvement lance une revendication simple : « du boulot ou une indemnité pour tous et toutes  », qui sera précisée un peu plus tard par la revendication d’une indemnité de 100 $ par mois pour les chômeurs et chômeuses.

L’Union des chômeurs en Irak connaît une croissance rapide, montant àplus de 130 000 militant-es. La situation sociale du pays, mais aussi le dynamisme de la nouvelle organisation, expliquent cet accroissement spectaculaire. Elle déploie son activité àBagdad, àKirkuk, àNasiriyah, et au total dans sept régions en Irak. L’action la plus spectaculaire fut, du 29 juillet au 13 septembre, un sit-in de plusieurs centaines de personnes devant le bureau de Paul Bremer, l’admirateur civil américain, qui dura pas moins de 45 jours. Malgré un soleil de plomb, les manifestant-es ont organisé la lutte de manière conviviale et festive, animant spectacles, poésies, musiques et danses, alternées de manifestations. Dès le deuxième jour, Qasim Hadi, secrétaire général de l’Union des chômeurs en Irak, est arrêté pour « violation du couvre-feu  », avec 18 de ses camarades, tandis que les troupes américaines tentent de disperser le sit-in. Qasim Hadi est relâché trois jours plus tard, puis arrêté de nouveau en même temps que 54 autres manifestant-es. Une campagne internationale de soutien s’engage aussitôt pour leur libération, qui intervient au bout de quelques jours. Les négociations avec le CPA (autorité provisoire de la coalition) reprennent. Le 12 aoà»t, c’est àla baïonnette que l’armée américaine charge les manifestant-es, sous un flot d’insultes racistes contre les « ali-babas  », surnom donné par les GI’s aux irakiens. Toutefois, quelques militaires témoignent discrètement de leur soutien aux manifestant-es et les encouragent.

Le mouvement résiste et tient. Encouragée par ses succès, l’Union des chômeurs exige la mise en application du plan de création de 300 000 emplois annoncée par les autorités d’occupation, et demande àêtre associée àleur mise en place, ainsi qu’aux distributions de nourriture dans les villes. Malgré plusieurs entrevues et promesses, Paul Bremer ne fait rien : il compte sur la démobilisation des manifestant-es. Comme le mouvement semble tenir et se durcir, d’autres moyens sont mis en oeuvre pour tenter de briser leur détermination. Au 40e jour du confit, le businessman Abdul Mussan arrive avec un groupe de partisans, portant des portraits de leur leader. Ils se présentent comme le « Mouvement démocratique pour une société irakienne libre  » et distribuent généreusement 2000 dinars (1 $) àchaque manifestant-e, en leur promettant un emploi... s’ils se désolidarisent du mouvement. 70 % le suivront pour former une « Association des chômeurs  ». Une semaine plus tard cette organisation fantoche disparaît et ses membres retournent, honteusement, àl’Union des chômeurs, expliquant qu’ils et elles avaient fait ça par désespoir. Il est tant de changer de forme d’action : le sit-in se termine par un festival de solidarité, avec théâtre et musique, le 13 septembre. Inlassable militant, Qasim Hadi sera de nouveau arrêté quelques mois plus tard, le 23 décembre 204, en même temps qu’Adil Salih, membre du Parti communiste des travailleurs-ses. Une nouvelle campagne internationale obtient leur libération.

A Kirkuk, les militant-es de l’Union des chômeurs ont organisé onze jours de sit-in en solidarité avec leurs camarades de Bagdad. Leur lutte est plus fructueuse, quoique àune échelle plus limitée : ils obtiennent de la municipalité la création de 50 emplois, payés 30 000 Dinars par semaine (15 $) financés par une organisation humanitaire. A Nassiriyah, l’un de leurs bastions, une manifestation de 7000 personnes est réprimée par les milices islamistes. La répression est fréquente ; elle n’est as toujours le fait des seules forces d’occupation. Le 3 janvier 2004, c’est le groupe islamiste « Al-initfadah Al sha’baaniah  » qui tire sur une manifestation de chômeurs, faisant quatre morts et plusieurs blessés. Ce jour là, un rassemblement s’était formé spontanément devant la mairie, àl’annonce de la création d’emplois. Lorsqu’un responsable municipale annonce qu’aucun emploi ne sera fourni, les chômeurs et chômeuses en colère lancent des pierres sur l’hôtel de ville, jusqu’àl’irruption des islamistes dont le quartier général est proche. A Al-Amarah, dans le sud, ce sont des troupes irakiennes sous commandement britannique qui font six morts et onze blessés, le 10 janvier 2004. Enfin, le 24 mars 2004 àNajaf, c’est la police irakienne qui tire : il s’agit de l’une de ces manifestations présentées par les médias occidentaux comme « shiite  », alors qu’elle est organisée par l’Union des chômeurs et que certaines photos montrent des drapeaux rouges.

Récemment, l’Union des chômeurs en Irak a fait connaître son programme social, rédigé en commun avec la « Fédération des conseils ouvriers et syndicats en Irak  », sous la forme d’une proposition de loi fondamentale pour le travail, en 48 articles. Un texte ambitieux, sans compromis avec le patronat, expressément opposé àtoute forme de nationalisme, et fondé sur les seules nécessités de la classe ouvrière. On y trouve parmi les revendications la semaine de 30 heures, la retraite à55 ans, l’interdiction des licenciements et du travail de nuit, la pleine égalité hommes-femmes, la liberté totale du droit de grève et d’organisation, la gratuité totale de l’instruction et de la santé. Décalage avec la réalité de l’Irak occupé, en proie àla guerre entre armées et milices ? Pas totalement. Si le CPA est fermement décidé àdémanteler le système économique fortement étatisé fondés sur la rente pétrolière, héritage de l’ancien régime baathiste, il doit malgré tout gérer une situation sociale avec dix millions de chômeurs et précaires. En janvier, le ministère du travail et des affaires sociales a annoncé qu’il envisageait un plan d’aide de six mois, avec une indemnité de 60 $ mensuels pour les chômeurs et chômeuses, sans toutefois donner de date pour sa mise en place. La pression continue exercée par les luttes de chômeurs de chômeuses n’y est pas pour rien.

Malgré la répression, l’Union des chômeurs est devenue une force incontournable en Irak. Il lui faut encore renforcer son organisation, car une croissance aussi rapide n’est pas facile àgérer, surtout en l’absence de tous moyens matériels. Même l’impression des bulletins d’adhésion pose des problèmes techniques et financiers difficiles àsurmonter sans l’aide de la solidarité internationale. Son journal, titré « Les conseils ouvriers  », dont le logo est issu d’une affiche française de mai 68, est diffusé àun faible nombre d’exemplaires, faute de moyens d’impression. En l’absence de véhicules, les déplacements àpied sont forts dangereux en raison de la situation de guerre, et la création de sections dans d’autres villes est limitée par les simples problèmes de transports. La misère même des militant-es est un frein àl’organisation, car il faut trouver chaque jour les moyens de subsister.

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