L’affaire Werner Brauener

c’est cette logique sociale qui est criminelle
jeudi 11 avril 2002
par  le réseau d’AC !

Le matin du 6 février 2001 Werner Braeuner, chômeur vivant àVerden, dans la région de Brême (RFA), a tué M. Klaus Herzberg, responsable de l’Arbeitsamt (l’équivalent allemand de l’ANPE) local, qui avait supprimé ses allocations, son unique source de survie. Puis il est allé se rendre àla police.

Le procès de Werner a commencé le 3 aoà»t 2001, le verdict a été rendu le 12 aoà»t : « 12 ans de prison  ». Le texte de soutien, qui suit, est diffusé dans plusieurs langues. Nous faisons appel àvous pour le signer et pour contribuer àla nécessaire publicité de cette affaire et du soutien qu’elle suscite.

Vous trouverez ci-dessous :

  • Le dernier courrier de Werner Braeuner (mars 2002)
  • Le texte de soutien des Amis de Werner Braeuner.
  • Les premiers signataires.
  • Des extraits de l’article paru dans Libération du 4 et 5 aoà»t 2001.
  • Un texte écrit par un membre des Chômeurs Heureux de Berlin.

courrier publié àla demande de Werner Brauener

Verden, le 30 mars 2002.

L’APPEL DE WERNER DÉBOUTÉ

Un tribunal menteur, une cour d’appel truquante, une loi évitant la loi.

Le 22 mars, j’ai reçu l’arrêt de la cour fédérale supérieure (la cour d’appel de Karlsruhe) daté du 14 mars. Mon appel contre l’arrêt du tribunal, le « Landgericht  » de Verden, est rejeté. Le 13 aoà»t, ce tribunal m’avait condamné àune peine de douze années de prison pour meurtre non-prémédité. Pour éviter de donner ses raisons juridiques la cour d’appel a recouru àl’article 349-2 StPO : si le procureur de la République Fédérale Allemande présente une motion conforme àcet article, la cour d’appel peut rejeter un appel par simple résolution àl’unanimité. Cette procédure n’est pas d’usage car normalement la cour d’appel donne ses raisons juridiques en se référant en détail àl’appel présenté par la plaidoirie, donc au jugement du tribunal.

Par ses considérants écrits du jugement, le tribunal de la ville de Verden avait dà» expliquer les raisons qui l’avaient motivé de ne pas m’accorder une atténuation de la peine bien que l’expertise psychiatrique avait attribué la raison du meurtre au dérangement de ma conscience qui m’avait fait rencontrer le directeur de l’ANPE de Verden, Mr Klaus Herzberg, le matin du 6 février 2001, rencontre qui s’était terminée par la mort de ce dernier.

Selon le tribunal de Verden, ce dérangement de ma conscience aurait été « Ã©vitable  », en d’autres mots : je serais responsable d’être arrivé àun état psychique qui m’a amené àagir sous le coup de l’émotion ! C’est exactement cette prétendue responsabilité de ma part qui est le point faible du raisonnement juridique. Un point faible que la cour d’appel aurait dà» traiter. Mais maintenant elle l’a évité par recours àl’article 349-2 StPO : cet article est le dernier recours d’une justice truquant la loi en correspondant àla loi.

Le tribunal de Verden s’est vu surpassé par la cour fédérale supérieure : pour étayer son faible raisonnement juridique, elle a même ouvertement menti en prétendant en plus que le psychiatre aurait dit, àl’occasion de sa déclaration devant le tribunal, que j’aurais pu éviter le dérangement de ma conscience. Dans son rapport écrit, le psychiatre n’en avait pas dit un mot, et il n’en a pas dit non plus un mot dans sa déclaration devant le tribunal ! Mais un tribunal menteur est toujours un tribunal conforme àla loi. Car cette loi stipule qu’ « un tribunal ne ment jamais  ». Pour éviter qu’un tribunal ne puisse mentir, il faudrait retranscrire mot àmot les procès-verbaux des déclarations prononcées par les témoins et les experts. Hélas. maintenant je comprends : ça créerait DES EMPLOIS - voilà, la justice protestanto-capitaliste !

PS 1 : L’appel du parquet de Verden qui veut une condamnation pour meurtre prémédité, mais reconnaissant mon dérangement de la conscience (quel bordel, n’est-ce-pas !), n’a pas encore été traité ni par le procureur de Karlsruhe ni par la cour d’appel. Le plus probable, c’est que le parquet de la ville de Verden retire son appel pour que la cour fédérale supérieure ne soit pas gênée de devoir traiter ce jugement confus du tribunal de Verden. Car ça poserait peut-être des problèmes imprévus par une législation évitant la loi par la loi !
PS 2 : Question àRadio Erivane : Est-il possible qu’un Etat démocratique occidental dispose d’institutions constitutionnelles mais adopte une pratique despotique antihumaine ? Réponse de Radio Erivane : en principe oui, mais puisqu’on en parle pas, c’est que ce n’est pas possible, et notamment l’hypothèse qu’un gouvernement puisse défendre le sens de sa constitution par tous les moyens possibles !

Salut àtou(te)s,

Werner Braeuner

C’est cette logique sociale qui est criminelle !

Le matin du 6 février Werner Braeuner, chômeur vivant àVerden, dans la région de Brême (RFA), a tué M. Klaus Herzberg, responsable de l’Arbeitsamt (l’équivalent allemand de l’ANPE) local, qui avait supprimé ses allocations, son unique source de survie. Puis il est allé se rendre àla police.

Qui est Werner Braeuner ?

Werner, 46 ans, est ingénieur et depuis huit ans il est au chômage. Il militait pour la réduction du temps de travail, pour un revenu garanti, pour une société d’individus libres, non abrutis par le travail. Il lui arrivait fréquemment de traduire des textes venus de France pour les associations de chômeurs allemandes. Il était connu en France dans le milieu des militants contre le chômage pour ses interventions dans la liste AC ! Forum, pour son sens de l’humour, son ironie et sa bonté, le sentiment de révolte qui l’animait et son français très imagé.

Il n’a jamais rien fait pour se rendre sympathique àla gauche gouvernementale. Ses prises de position, critiques des accointances des Verts allemands avec le lobby pétrolier et du productivisme social-démocrate, expliquent suffisamment le silence qui entoure son cas. Ses idées étaient discutables, et bien souvent discutées dans le mouvement des chômeurs, mais poussaient àla réflexion et ne laissaient personne indifférent.

La presse a rapporté l’affaire en adoptant d’emblée l’hypothèse de la préméditation. Le journal local et le Bild (flambeau de la presse-poubelle allemande), notamment, trop contents d’avoir affaire àquelqu’un qu’ils pouvaient présenter comme un extrémiste, un symbole du combat anticapitaliste, se sont empressés de lui attribuer l’intention d’empêcher la conférence de presse sur les chiffres du chômage qui devait avoir lieu le jour même àl’Arbeitsamt local. Ainsi le procureur n’aura-t-il plus qu’àsuivre cette voie toute tracée pour construire son réquisitoire ! Or nombre des détails fournis sont totalement fantaisistes, notamment le prétendu rapport d’amitié qui liait Werner au propriétaire de la chambre qu’il louait dans une ancienne ferme et aux yeux duquel Werner passait beaucoup de temps devant son ordinateur - ànous d’ajouter : àdiscuter avec ses amis aux quatre coins de l’Europe - mais ne cherchait pas de travail. Evidemment, ces journaux se gardent bien d’informer leurs lecteurs de l’existence en Allemagne de 76 000 ingénieurs au chômage, dont la plupart de la génération de Werner, et de leur expliquer pour quelle raison ceux-ci devraientconsacrer l’essentiel de leur vie àla recherche désespérée et désespérante d’un boulot inexistant. ..

Le contexte, les raisons

Werner a vécu ces dernières années une situation particulièrement dure, qui l’a fragilisé. Les difficultés matérielles, le manque d’espace dans son ancien logement et les tensions qui s’accumulaient l’ont contraint àune séparation forcée d’avec sa compagne. Quelques mois avant la naissance de leur fille, il a dà» chercher une chambre dans un village voisin. En juillet, il sollicite un stage de formation, qu’on lui accorde. Cinq mois après, soit fin novembre, démoralisé par le fait de ne rien y faire la moitié du temps, il décide de le quitter après avoir écrit - et rendu publiques - deux lettres où il explique ses raisons àM. Herzberg, de la décision duquel dépend le maintien de ses allocations. Mais M. Herzberg a reçu des consignes, et semble convaincu de leur bien-fondé, puisqu’il ne tient pas compte des arguments de Werner et affiche sa volonté de le radier lorsque celui-ci le rencontre àl’Arbeitsamt. Embourbé dans une situation psychologique qui s’aggrave, souffrant de violentes douleurs du dos, accablé par les tracasseries administratives, Werner est de surcroît menacé de radiation àla mi-janvier. Début février, il reçoit la notification qui le prive de ses allocations. Il est alors tenté par l’idée du suicide, comme bon nombre de chômeurs dans pareilles circonstances. Mais il réagit, et le matin du 6 février, il va àla rencontre de M. Herzberg, l’homme qui, dans sa vie concrète, incarne ce système inhumain. C’est alors que, submergé par le sentiment de l’injustice subie, incapable de se maîtriser, il le frappe àmort. Il s’est révolté contre une machine, mais il a tué un homme. Encore sous le choc de son acte, il se rend àla police, et plus tard fait sa déposition devant le juge. Il est alors incarcéré, et, pendant deux mois et demi, partage une cellule de 7,5 m2 avec un codétenu. C’est peu àpeu qu’il réalise, horrifié, le désastre qu’il a provoqué : la mort d’un homme, la douleur de la famille Herzberg et de la sienne, le malheur qui s’abat sur sa femme et son enfant.

Pourquoi il faut le défendre

L’histoire de Werner ressemble àbeaucoup d’histoires de chômeurs de longue durée. Avec la perte du travail, ce sont les conditions matérielles de vie qui se détériorent, le recours àdes solutions provisoires qui s’impose et qui dure, les relations intimes qui se tendent puis se défont. La société vous a mis au rebut, àvous de résister comme vous le pouvez au sentiment de déchéance et d’inutilité - Werner avait choisi l’action militante et la réflexion collective pour y faire face, choix que beaucoup de chômeurs français comprennent trop bien. Mais aujourd’hui, les gouvernants de plusieurs pays d’Europe prétendent de surcroît vous faire porter la responsabilité de votre situation de chômeur, en vous imposant des solutions de "sortie" du chômage qui sont souvent pires que les solutions de survie avec lesquelles, bon an mal an, vous avez pu parfois retrouver un équilibre minimal : des boulots trop précaires et trop mal payés pour vous permettre de vous reloger décemment et de refaire votre vie, des formations plus ou moins bidon qui vous enfoncent dans le sentiment de non-sens et d’inutilité, sans vous garantir rien au bout. C’est cette logique qui s’impose au nom de la "lutte contre le chômage" en France, àtravers les radiations massives et des mesures comme le PARE, c’est cette même logique qui s’impose en Allemagne, où le gouvernement n’a actuellement rien d’autre àproposer, pour régler le problème du chômage comme il s’y était engagé au moment des élections, que d’augmenter le contrôle et la répression sur les chômeurs, sans rien résoudre sur le fond.

Comment s’étonner dans ce contexte, et en l’absence de perspective capable d’offrir un débouché àla révolte par l’action collective, que des individus"pètent les plombs" en s’attaquant directement àceux qui se font les agents les plus immédiats de cette politique ? Aux Etats-Unis, la multiplication de ce genre de gestes est telle qu’elle commence àdevenir un phénomène social. Celui-ci va-t-il gagner les pays d’Europe qui choisissent de masquer les problèmes que crée une polarisation sociale croissante en augmentant les contraintes sur les plus pauvres, les poussant àl’exaspération et au désespoir ?

La violence de cet acte peut rebuter, mais elle est une réaction directe àla violence subie et au sentiment d’impuissance. Werner est le thermomètre d’une tension qui monte. Malheureusement, la justice risque de tout faire pour éviter que la dimension sociale de cet acte soit mise en avant. A nous de faire en sorte que l’on ne puisse traiter en simples cas judiciaires les actes de ce genre, et de montrer que c’est la logique sociale qui pousse des hommes comme Werner au désespoir qui est criminelle.

Werner a déjàpayé pendant huit longues années de chômage et de marginalisation qui ont précédé son geste. Il serait donc d’autant plus injuste que l’on exerce contre lui une forme de "vengeance" qui, de surcroît, ne rendra pas la vie àM. Herzberg.Le geste de Werner nous interpelle tous - chômeurs, salariés, exploités, et tous ceux pour qui l’existence dans une société riche de la misère liée au chômage reste et restera toujours un scandale. Ne le laissons pas tomber !

  • Les signatures sont àadresser ici.
  • Le texte peut être téléchargé et diffusé, voir en bas de page (en anglais, en allemand, en espagnol, en italien et bien sà»r en français...)

Ce texte a été distribué en grand nombre lors du contre G8 àGênes en juillet 2001 par le réseau des collectifs d’AC !.

  • Vous pouvez aussi écrire àl’adresse suivante :

Werner Braeuner
JVA Verden
Stifthofstr.10
27283 Verden
Allemagne

Les signataires au 4 aoà»t 2001 :

Organisations  : AC ! (Agir ensemble contre le Chômage !), APEIS (Association pour l’Emploi, l’Information et la Solidarité), Brighton & Hove Unemployed Workers Centre (Angleterre), CNT 91, CNT SSFC, No Pasaran, Cercle Social (Suisse), Réseau Sauve Tout Ce Qui Peut L’être Encore, OCL, Alternative Libertaire, Jobavenir, Coordination des travailleurs précaires, Société du salaire socialisé, O.S.P.M.H, Les Nouvelles Libertaires( revue d’éthique et d’entr’aide acrate), Gruppe Krisis, Die glücklichen Arbeitslosen, Kooperative Haina, Kooperative Ulenkrug, Attac Valenciennes, Union des anarchistes, Gewerkschaftliche Arbeitslosen Gruppe Göttingen (GALG)...

Individuelles  : Patrice Bardet (CGT), Francine Bavay (porte parole des Verts), François Eymard-Duvernay (Centre d’études de l’emploi), Laurent Guilloteau (revue Multitudes), Frederic Lebaron (Raison d’agir), Catherine Levy (Réseau Alerte Inégalités), Henri Maler (Acrimed), Valérie Marange (revue Chimères), René Olier (SUD PTT), Guillaume Paoli (Chômeurs heureux, Berlin), Jean-Pierre Petit (Souriez vous êtes filmés), Isabelle Saint Saens (revue Vacarme), Patrice Spadoni (AC !), Jean Zin (Etats Généraux de l’Ecologie Politique), Mila Zoufall (Chômeurs heureux, Berlin), Christian de Montlibert (sociologue), Ferdinand Risner (Allemagne), Achim Bellgart (Brême,Allemagne), Philippe Mangeot (Revue Vacarme) Joseph Romand (SNU ANPE) , Dirik Sham (Allemagne) Raphaë l Mournat (journaliste, No Pasaran), Jeanne Revel (revue Vacarme) François Thériault (Canada) Bernard Bulliard (journaliste) Donald Hounam( journaliste G.B.) Esther Esposito, Didier Aresi, M Legall, Bernard Jean, Charles Matthieu Martin, Heike Heinzmann, Michel Leclercq, Pascal Prévost, Jean Robin Merlin, Aude Laprestré, Eric Ducoing, Yves Martinot, Guy Rouy, Mattias Decraene, Sylvie Cerclier, Jean-Pierre Ivaldi ,Rémy Charles de Cock, Dany Rétorré, Bruno Morin, Philippe Cahuzac, Stéphane Beuvain, Stephane Andreani, Laurent Gatard, Heinz Blaha (Allemagne),Tasso Obermanns, Danielle Melador, Joë l Perdriau, Hèlène Dahan, Paolo Pahor (U.S.A),Sylvia Angelini (Italie) Gianluca Rosa (Italie), Frank Dick, Nicole Thé, François Kergunteuil (CNT), Bernard Stauffer, Cecily Mac Namara (G.B.), Igo Wotschek, Danuta Nowak, Ulrich Leicht, John Drury (G.B.), Christophe Souliè, Anne Vuaillat, Pierre Nicolazo, Eric Laffleter, Jean Christian Savoye, Laurent Berthelot, Remy Querbouet, Lilian Truchon, Guy Carriou, Daniel Maier (Allemagne), Dick Diedetrich (Belgique), Jacques Belin, Remy Comment, Rudolf Stratmann (Allemagne), Joachim Grimm (Allemagne) Olivier Commenge, Abdullah Liepe, Bernard Serafinowsky, Fabrice Wolff, Evelyne Perrin, Cecily Mac Namara(G.B.), Frank Einstein (Belgique) Thierry Septembre, Robin Benson, (Allemagne), Mark Degens(Allemagne), Annett Feistauer (Allemagne), Anja Ibsch (Allemagne), Doris Köhler (Allemagne), Sebastian Köhler (Allemagne), Renate Kossmann (Allemagne) Arne Melzer(Allemagne), Friedrich Rosen (Allemagne), Dirk Rudolph (Allemagne), Uwe Schmidt (Allemagne), Dirik Saham (Allemagne), Tina Veihelmann (Allemagne), Juliane Westphal (Allemagne), Frank Willmann(Allemagne), Christelle Blanc Lanaute, Eric Mary, Stephane Andréani, Patrice Laurrin, (AC ! Metz, groupe des 10 Solidaire), Irène Laurrin (AC ! Metz et Nord Lorraine), Philippe Laurent, Jean Paul Dalibart, Dominique de Merliner, Bettina Brömstrup (Allemagne) , Paul Mazere, Christian Ferrié, Elisabeth Garcia, Thomas Immanuel Steinberg (Allemagne) Catherine Teffri, Yves Meston, Sylvie Rattier, Yvette Scieux, Jean Charles Durand, Jean Robin Merlin, Claudie Annereau, Yves Niccolazo, Jean Philippe Romanet, Brigitte Nicolazo, Jörg Urbanek (Allemagne) , Jochen Mauch (Allemagne)...

Extraits de l’article de presse paru dans Libération du samedi 4 et diamnche 5 aoà»t 2001.

« Chômage : la détresse en procès en Allemagne,
Solidarité européenne pour le meurtrier d’un directeur d’ANPE  ».
par Lorraine MILLOT

Verden, envoyée spéciale
Libération - le samedi 4 et dimanche 5 aoà»t 2001

(...)
Quelques caméras, une trentaine de spectateurs, ni banderole ni manifestation : le procès de Werner Braeuner, 46 ans, chômeur accusé d’avoir tué le directeur de son agence pour l’emploi, s’est ouvert vendredi dans la petite ville de Verden, au nord de l’Allemagne. En France, quelques militants qui le connaissaient via les forums de chômeurs sur l’Internet voudraient en faire le procès du chômage. Un jeune Français - qui ne veut pas dire son nom - a fait le voyage jusqu’àVerden et distribue un appel àla solidarité : "Ce qui est criminel ici, c’est la logique sociale !", dénonce le tract, signé du Groupe des éléments incontrôlés. Il appelle à"organiser des actions dans [la] ville". Sans succès jusqu’àprésent.
(...)
"Etre salis." En Allemagne, le cas n’a pas encore suscité beaucoup d’intérêt. Effrayés par le crime, les mouvements de chômeurs ne se sont guère solidarisés : "Le premier réflexe a été de prendre ses distances, pour ne pas être salis, explique un militant de Cologne.
Ce n’est qu’après les appels venus de France qu’on a commencé às’intéresser àson cas." De France, une militante d’AC ! (Agir contre le chômage), Danielle Rétorré, qui avait échangé quelques e-mails avec Werner Braeuner, s’est reconnue dans son drame : "J’imagine que ce gars vivait un peu comme moi, réfugié àla campagne, derrière son ordinateur. Nous ne faisons pas l’apologie de sa solution, précise-t-elle. Mais il faut savoir qu’on peut mettre la vie des gens en danger en leur coupant leurs allocations comme ça."
Depuis Angers, cette militante a activé ses réseaux, mobilisé AC !, réuni une trentaine de signatures, dont celles de l’Apeis (Association pour l’emploi, l’information et la solidarité) et celle du mouvement de chômeurs anglais (Brighton & Hove Unemployed Workers Center) et convaincu un Français vivant àBerlin, militant du mouvement allemand des Chômeurs heureux, de rédiger un texte de soutien. "La seule chose qui soit étonnante est que de tels éclats ne se produisent pas plus souvent", y explique Guillaume Paoli.
Regrets. Pour ce premier jour d’audience, Werner Braeuner a préparé une longue déclaration, lue par son avocat, où il assure "regretter profondément" : "Je ferais tout pour que cet acte, devant lequel je suis làcomplètement impuissant et qui m’est encore incompréhensible jusqu’àaujourd’hui, n’ait jamais eu lieu", explique-t-il.
Il dément en revanche avoir tué "par haine ou colère", pour, "lancer un signal". Il était venu trouver le directeur pour le convaincre de revenir sur sa décision de lui couper ses allocations, dit-il. "M. Herzberg était mon dernier espoir", le seul qui pouvait l’empêcher de tomber dans l’aide sociale, le plus bas échelon du système social allemand. "Vous auriez dà» réfléchir àtout ça plus tôt, vous êtes complètement fou, disparaissez, foutez le camp", aurait répondu Herzberg, "avec un petit sourire", ajoute l’accusé, seul témoin de la scène. C’est àce moment-làque "tous [s]es plombs ont sauté", résume-t-il. Sitôt après les faits, il s’était rendu àla police de la ville voisine de Brême.
Tout en cherchant àécarter l’idée de préméditation, l’avocat de Braeuner, Michael Brennecke, voudrait aussi faire de ce procès, celui de "la prétendue politique de l’emploi". "Sans le chômage et tout le système de prétendues mesures de retour àl’emploi, qui ont démoli mon client, les faits ne pourraient pas s’expliquer", dit-il, promettant d’apporter au tribunal des études sur les effets psychologiques du chômage de longue durée.
Isolement. Ingénieur mécanicien de formation, Werner Braeuner était sans emploi depuis avril 1992 : la firme qui lui assurait alors un revenu mensuel de quelque 10 000 marks brut (5 000 euros) avait fait faillite. Dans sa déclaration lue vendredi, il raconte la longue descente aux enfers qui s’ensuivit : les candidatures àenvoyer pour des emplois qui, àl’évidence, ne correspondent pas àses qualifications, les formations enchaînées, cours d’anglais, cours de français, formation de soudeur, formation aux relations publiques, sans que jamais l’espoir d’un emploi ne se réalise. D’espérance en déception, le soupçon se fait certitude : ces formations ne servent qu’àle "garer" provisoirement en dehors des statistiques du chômage.
Supportant de moins en moins les reproches ou les bons conseils de ses parents et amis, il se retrouve seul. Quelques mois, il vit avec une femme. Mais les disputes n’en finissent plus. Il la quitte deux mois avant la naissance de leur fille pour se réfugier dans une chambre louée àun fermier, où il s’enferme et boit.
En juillet 2000, il tente encore une nouvelle formation, au dessin industriel, mais il abandonne en novembre, excédé par la lenteur des cours. Dans un fax au directeur de l’agence pour l’emploi, le 12 janvier de cette année, il l’accuse de lui avoir menti, en soutenant que la loi l’oblige àsuspendre ses allocations. "Vous me brisez le cou", accuse Braeuner, ajoutant : "A part la couleur du costume, qu’est-ce qui vous différencie d’un sbire nazi ?"
Ces excès de langage ont contribué àisoler Braeuner. Ainsi, le Bild, le grand quotidien populaire allemand, a prestement résumé l’affaire : "Sur l’Internet, au lieu de chercher du travail, il cherchait des camarades de souffrance [...] il fuyait la réalité dans la virtualité." "La fuite dans la réalité virtuelle serait bien plutôt de courir désespérément après un travail qui n’existe pas !", rétorque Guillaume Paoli.
(...)

Texte concernant Werner Brauener de Guillaume Paoli des Chômeurs Heureux de Berlin (traduit de l’allemand)

C’est arrivé près de chez vous
Un cas mortel de coercition

Le matin du 6 février 2001 àVerden, Klaus Herzberg s’est fait tuer par Werner Braeuner. Klaus Herzberg, 63 ans, était directeur du bureau local du chômage ; Werner Braeuner, 46 ans, est ingénieur-mécanicien au chômage. Braeuner venait d’être radié, et ses allocations, son seul revenu, supprimées. Une heure après les faits, il s’est présenté àla police. Il est actuellement en prison et attend son procès.

Nous ne connaissons pas personnellement les deux protagonistes de cette dramatique histoire. Mais nous connaissons d’expérience son contexte éminemment social. Il y a un rapport indéniable entre les fonctions hiérarchiques de la victime et la réaction désespérée de l’auteur de cet acte. Cette affaire se distingue en ceci des habituels « faits divers  » pour apparaître comme symptôme d’une crise galopante. Car la seule chose qui soit étonnante àce propos est que de tels éclats ne se produisent pas plus souvent. Dans les bureaux de chômage et les services sociaux fermentent quotidiennement des pulsions de violence. Et c’est en permanence qu’il nous faut lutter pour empêcher que l’un ou l’autre d’entre nous ne déjante et gâche sa vie - que ce soit par le suicide ou par une agression incontrôlée qui le conduirait en taule [1].

Il ne n’est ici question, ni de légitimer le meurtre d’un homme ni de le juger (d’autres s’en chargeront !), mais d’examiner son substrat social. Werner Braeuner passait pour un homme intelligent, paisible et doté du sens de l’humour. Et pourtant il a « pété les plombs  », détruisant sa vie et celle d’autres personnes. Quiconque veut éviter que de tels drames ne se reproduisent devrait d’abord se demander comment et pourquoi ils surviennent, et analyser la logique sociale de cette folie, qui répond àla logique démente de cette société.

Avant tout, voici la raison de notre intervention : nombre de gens dans ce pays étaient en contact avec Braeuner. Il s’agit de personnes engagées, qui ont communément la bouche pleine du mot « solidarité  ». Or depuis février ils se taisent tous, presque sans exception, et le laissent tomber, soit parce que l’affaire leur paraît trop peu politique, soit par peur d’être eux-mêmes criminalisés [2].

Ce sont des Français du groupe AC ! qui les premiers ont fait circuler une pétition de soutien pour rompre le silence qui entoure cette affaire en Allemagne.

Werner Braeuner était chômeur depuis huit ans. Il y a en Allemagne 76 000 ingénieurs au chômage, dont la plupart sont de la génération de Braeuner, trop âgés donc sur le marché du travail. Leurs chances de retrouver un emploi sont quasiment nulles. Que peut-on faire dans un tel cas ? Essayer au moins d’occuper judicieusement son temps. Depuis 1998 Braeuner avait trouvé, comme il l’écrivait lui-même, une « appartenance forte au sein du mouvement de chômeurs européen  ». Il traduisait des textes du français, s’était engagé au sein de la BundesArbeitGemeinschaft [groupe réformiste qui s’occupe des sans-travail NDT] et participait activement àde nombreux forums sur Internet. Pour le Bild-Zeitung, cela donne : « En fin de compte il fuit la réalité dans la virtualité. Sur Internet, Werner B. cherche, sous le nom d’"aidos" (mot grec désignant un sentiment de pudeur et d’honneur ) des camarades de souffrances au lieu de chercher du travail.  » Voilàun retournement parfait du réel : car la fuite dans la réalité virtuelle serait bien plutôt de courir désespérément après un travail qui n’existe pas ! Werner Braeuner essayait de réfléchir aux conditions qui l’avaient jeté dans cette situation précaire. Si « la réalité  » n’a plus besoin de nous, il est bien légitime de se demander si nous en avons besoin, de cette réalité. Au demeurant, la mise en connexion de réseaux et initiatives européens est bien une activité d’intérêt général : ce n’est qu’ainsi que pourra naître un large mouvement social, seule chance d’améliorer cette société malade.

Faisons ici une petite digression : il y a en Allemagne des gens qui gaspillent tout leur temps àdéblatérer sur des modèles alternatifs au chômage et des projets de financement. On les paye pour ça, bien entendu : il ne leur faut pas plus de dix minutes pour gagner lors d’une quelconque réunion le salaire mensuel d’un assisté social - notez bien : financé par le contribuable. Et pourtant, on ne les appelle pas des tire-au-flanc mais des sociologues. Personne n’a encore songé àenvoyer Ulrich Beck cueillir des asperges [3]. En revanche, que des chômeurs s’avisent de réfléchir eux-mêmes sur leur sort et s’efforcent de trouver des alternatives concrètes, et voilàque les quelques centaines de marks avec lesquelles ils doivent survivre deviennent une exploitation éhontée de la population travailleuse. On nous rétorquera peut-être que des chômeurs sans qualification ne sauraient développer une théorie intelligente et utilisable par rapport aux spécialistes patentés et qu’ils sont tout juste bons àbavarder dans le vide. Pour en finir avec ce préjugé, nous publions l’un des nombreux écritsde Braeuner.

Dans cette triste histoire, l’illusion du virtuel semble néanmoins jouer unrôle, mais d’une tout autre manière que celle évoquée par les feuilles de chou. Ce qui frappe après coup, c’est le large fossé qui séparait les multiples contacts électroniques que Werner Braeuner entretenait quotidiennement de l’isolement concret dans lequel il vivait. Cette situation est caractéristique de la nouvelle société digitale en général - c’est en permanence que mots et images sont échangés dans un prétendu temps réel, tandis que le véritable espace-temps de l’expérience subjective est de plus en plus vécu dans l’atomisation. En ce qui concerne plus spécialement la politique connectée au réseau avec ses forums virtuels et ses manifs online, une telle séparation a des conséquences fatales. Les vieilles valeurs politiques de communauté et de solidarité sont devenues làde pures abstractions. On pourra débattre aussi globalement qu’on le voudra, l’isolement et l’impuissance quotidienne n’en restent pas moins intacts. En ce sens, l’acte désespéré de Braeuner n’est pas un phénomène « infra-politique  », mais une conséquence de l’échec de la politique sous forme digitale. C’est précisément parce qu’il n’y a actuellement aucune perspective d’amélioration collective - et moins encore de solution - de la misère sociale que se développe le désespoir individuel, avec parfois des conséquences sanglantes. Puisse au moins cet exemple amer servir d’avertissement.

Les difficultés de Braeuner augmentent àmesure que sa situation matérielle devient plus précaire. Il souffre de violents maux de dos. Dans leur petit logement, les disputes avec sa compagne se succèdent. Avant même la naissance de sa fille il déménage et loue une pièce dans un village voisin. Là, il semble avoir vécu extrêmement isolé. Tous ces détails seront vraisemblablement présentés devant le tribunal comme autant de « problèmes personnels  ». Peut-être les experts affirmeront-ils que tout est lié àquelque traumatisme infantile - ou, pour faire plus moderne, génétiquement déterminé. Il crève cependant les yeux que de telles affaires "privées" sont avant tout déterminées par une pression sociale extrême.

En juillet 2000, Werner Braeuner s’inscrit pour un stage de formation de constructeur 3D-CAD proposé par son bureau de chômage. Il l’interrompt en novembre, parce que « Ã§a ne mène àrien  ». La moitié du temps, il n’y a là-bas littéralement rien àfaire. Ce sentiment est familier àtous ceux qui ont dà» suivre, volontairement ou pas, ce genre de formation simulée. Dans le seul but de pouvoir prétendre qu’« il se fait quelque chose contre le chômage  », on réquisitionne la seule chose qui nous reste : notre temps. La déception est d’autant plus amère pour ceux qui avaient sincèrement souhaité cette formation et qui se retrouvent àingurgiter un savoir obsolète dispensé dans des salles d’attente par des formateurs sans qualification. Une issue de sortie en trompe l’oeil est encore moins supportable que l’immobilité forcée. Mais malheur àqui se libère de son propre chef de la place qu’on lui a assignée et du rôle qu’on lui a imparti. Car là, il commet un acte de rupture sociale. Le chômeur se mue en délinquant : dès lors il ne relève plus de la « tolérance répressive  » mais sera l’objet d’une sanction. Avant de laisser tomber son stage, Braeuner écrit deux lettres au directeur de son agence pour lui expliquer les raisons de sa décision. La réponse abrupte lui parvient àla mi-janvier. Ses allocations sont supprimées. Peu après il rencontre Herzberg par hasard àl’agence et tente en vain de le convaincre. La loi ne prévoit pas d’exception, lui assène ce dernier. Pas de discussion, pas d’issue. Braeuner pense d’abord àse suicider. S’il l’avait fait, il serait mort en bon chômeur, honoré de trois lignes dans la presse locale. « Un désespéré a mis hier fin àses jours. Il était sans travail depuis huit ans.  » Le lecteur aurait éprouvé un vague sentiment de pitié en maudissant l’épidémie naturelle qui sévit sous le nom de « chômage  » et détruit implacablement des vies humaines. Cependant la tragédie serait restée discrète. On ne publie pas la statistique mensuelle des suicides de chômeurs, quoique celle-ci contribue concrètement àaméliorer la situation économique. Mais en fin de compte ce n’est pas directement contre lui-même que Braeuner dirige d’abord son désespoir. Peut-être pense-t-il que cela rendrait par trop service àl’injustice institutionnelle. Toujours est-il que c’est contre celui qui incarne àses yeux le mécanisme de son exclusion qu’il se retourne ce matin là.

De la victime elle-même, on sait peu de chose. Sur la photo, Klaus Herzberg ressemble àce qu’on se représente d’un employé de 60 ans. Ce que l’on voit de son domicile correspond également au pavillon typique de la classe moyenne, avec garage et gazon bien entretenu. Si l’on en croit le Bild (mais qui peut encore croire ce journal ?), il aurait été ce matin-làtout àla joie anticipée de pouvoir annoncer le midi àla presse que « le taux de chômage avait chuté de 6,9 % (12 174)  ». Les plumitifs ajoutent, sans craindre le ridicule : « quelqu’un voulait empêcher cela àtout prix  » - comme si l’usage de la violence pouvait empêcher les nouvelles de paraître ! Les détails sordides ne nous sont pas épargnés : Klaus Herzberg a été mortellement blessé « par plusieurs coups portés àla tête avec un racloir triangulaire  ». Ce n’est pas un beau spectacle. Il laisse derrière lui une femme et deux enfants. On imagine les larmes, le vide, les questions sans réponses. En revanche, nous ne saurons jamais ce que ressentait le directeur de l’agence lorsque les chômeurs le suppliaient de ne pas leur couper les aides [4]. Avait-il des remords de conscience ? Ou se réjouissait-il d’avoir pris des tire-au-flanc au piège ? Se rendait-il seulement compte des existences brisées qui se cachent derrière les statistiques qu’il avait pour fonction de faire baisser ? 6,9 % ce mois-ci, quel beau chiffre ! Finalement, ces questions importent peu. « La mort n’a pas touché la personne de Klaus Herzberg, mais l’institution de l’Arbeitsamt [l’équivalent de notre ANPE et de nos Assedic NDT]  », voilàcomment s’exprime Jagoda, président du Bundesanstalt für Arbeit [le grand chef du chômage], aux obsèques. Pareille affirmation est ambiguë . Sans doute, une agression personnelle ne peut-elle être une solution, puisque l’employé est impersonnel et interchangeable. Mais par ailleurs, c’est précisément l’anonymat sans visage de la bureaucratie qui en fait la matrice du monstre. De crainte d’être stigmatisé de soixante-huitard arriéré, plus personne n’ose aujourd’hui parler de « violence structurelle  ». Et cependant, c’est ici àun cas éclatant de violence structurelle que nous avons affaire. Des slogans démagogiques sont convertis en ordonnances et directives qui, en descendant les échelons, se muent àleur tour en ordres àfaire exécuter - Combien faut-il en radier aujourd’hui, monsieur le directeur ? Assurément, un clic de souris est plus propre qu’un coup de racloir triangulaire, et une radiation des statistiques n’est pas, loin sans faut, une exécution capitale, seulement une mort institutionnelle. Mais il ne faut pas beaucoup d’imagination, même de la part d’un bureaucrate, pour s’en représenter les conséquences. Il faut le dire clairement : l’« institution de l’Arbeitsamt  » et, au-delà, la fabrique de désespoir dénommée politique de l’emploi ont une part de responsabilité dans la mort de Klaus Herzberg.

Il ne s’agit peut-être làque d’un signe avant-coureur. Depuis quelques semaines, une mise en scène médiatique fait rage d’un bout àl’autre de la République, àlaquelle on a donné le nom de « débat sur la paresse  ». Il s’agit très prosaïquement d’employer contre les chômeurs des mesures plus coercitives. Quiconque n’acceptera pas la première offre d’emploi, quelle qu’elle soit et quel qu’en soit le salaire, se fera couper les allocations. Cette version moderne de la malédiction biblique a néanmoins un angle mort : qu’adviendra-t-il de tous ceux qui, pour une raison ou une autre ne s’accommoderont pas de telles exigences ? Les défenseurs de la tolérance-zéro ont-ils pris en compte ses inévitables conséquences ? Vont-ils s’accommoder de ce qu’il en coà»tera socialement ? Faute d’une prétendue « couverture sociale  » ce sont des linceuls sociaux qui pourraient bien se multiplier. Regardons les USA, pays de l’économie miracle, où le recyclage des exclus en furieux de la gâchette est devenu la norme et dont le goulag compte deux millions de détenus. Certes, de telles conditions concourent àassainir le marché du travail - d’une part la demande en forces de sécurité, vigiles, policiers, techniciens d’alarme et autres profiteurs de la peur est en hausse constante, d’autre part les coà»ts salariaux baissent grâce àun large prolétariat carcéral. Mais est-ce bien dans ce monde làque nous voulons vivre ? A cet égard, le cas Braeuner est un avertissement àprendre au sérieux.

Le procès va débuter le 3 aoà»t. La procédure s’y déroulera dans la perspective individualisante de la justice, une apaisante illusion où le mauvais individu paie pour ses péchés, après quoi tout rentre dans l’ordre. Pour toutes les raisons évoquées plus haut, il ne faut pas laisser tomber Werner Braeuner. Si la notion de circonstances atténuantes a un sens, c’est bien ici. Chez de nombreux peuples primitifs, en cas de crime, ce n’est pas seulement l’auteur mais toute la société qui est punie, et tous se flagellent mutuellement. Chacun se sent coresponsable du fait qu’une rupture de la règle sociale ait pu avoir lieu. Il ne serait guère imaginable de remettre ces usages en honneur ici aujourd’hui. Toutefois, il est àsouhaiter que ceux qui n’ont pas renoncé àtoute valeur humaine saisissent cette occasion de mettre en accusation publique la logique sociale qui enfante de tel cas tragiques. Tant qu’il en est encore temps.

par Guillaume Paoli.

Extrait de "Müßiggangster" la revue berlinoise des Chômeurs Heureux, Juin 2001 - traduit de l’allemand.


[1Au cas où nous n’aurions pas été assez clairs : Les Chômeurs Heureux ne nient pas le désespoir régnant, au contraire, ils développent àson encontre des mesures préventives.

[2Intimidés par la presse locale qui a stigmatisé cet acte de désespoir comme un « phare politique  » conscient : « C’est ainsi qu’il militait dans le réseau "Hoppetosse" qui appelle sur Internet àla "résistance créative contre le capitalisme"  » - entendez : le meurtre fait partie de la résistance créative !

[3Ce Beck est un de ces sociologues citoyennistes appartenant àla BAG, et la récolte des asperges fait partie de ces travaux, comme les vendanges, dévolus aux chômeurs (Note des traducteurs).

[4"En me coupant les allocations, vous me rompez le cou et vous le faites de bon coeur" (lettre de Braeuner àHerzberg le 12 Janvier).


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