Précarité et santé, contribution collective

Paris 19-20
vendredi 15 octobre 2004
par  AC ! Paris 19-20

La réforme de la protection sociale adoptée notamment par la loi du 13 août 2004, s’inscrit dans une continuité totale avec le Plan Juppé de 1995, avec les propositions contenues dans le rapport Chadelat ; également avec les propositions faites dans le cadre de l’Accord général sur le commerce des services (AGCS) de l’OMC, qui prévoit une marchandisation progressive de tous les services. Cette réforme vise à réduire le régime général de sécurité sociale au strict minimum et à accorder une place croissante à des assurances complémentaires privées, qui fonctionnent sur des critères de rentabilité. Là -dessus, on peut trouver des points communs avec la réforme des retraites : les masses énormes de fonds issus des prélèvements sur les revenus des salariés étaient jusqu’ici gérées par les organismes non lucratifs de la sécurité sociale. Comme pour les fonds de pension, il s’agit d’autoriser la gestion de ces masses d’argent par des organismes financiers orientés par la logique de la réalisation d’un profit maximum.

Une protection sociale à plusieurs vitesses existe déjà depuis longtemps. La dégradation du système de soins (sensible depuis une vingtaine d’années) est déjà très avancée et cette situation va s’aggraver du fait des nouvelles mesures prises :

- la poursuite des restructurations et des privatisations du secteur hospitalier (Plan Hôpital 2007) ;
- l’augmentation à 13, puis 14 et 15 euros du forfait journalier d’hospitalisation ;
- l’instauration d’un forfait d’un euro pour toutes les consultations ;
- la suppression de la prise en charge à 100 % de certains soins ;
- le déremboursement de plusieurs centaines de médicaments, qui doit se poursuivre.

A cela il faut ajouter une augmentation de la CSG (pour tout le monde), comme mode privilégié de comblement du déficit de la sécurité sociale ; l’institution d’un « Dossier médical personnel », permettant le contrà´le des individus. Le dispositif de la CMU, déjà insuffisant pour le remboursement de certains soins (soins dentaires, ophtalmologiques, médecines de spécialités) est devenu plus difficile d’accès. L’aide médicale aux étrangers sans papiers a été presque supprimée.

Les raisons de la crise de la sécurité sociale

Le financement de la sécurité sociale repose en France en partie sur des cotisations payées par les employeurs et les salariés, en partie sur l’État. Il est actuellement déficitaire, un des motifs étant l’évolution du rapport entre le nombre des actifs et celui des inactifs ou des chômeurs dans la population totale. Au niveau européen, le déficit des finances publiques est stigmatisé. Or, pour un budget total supérieur à celui de l’état, la sécurité sociale présente en réalité un déficit beaucoup plus faible (en 2003 : 11,5 milliards, au lieu de 65 milliards). Une forte croissance des dépenses de santé est liée, comme pour les retraites, au vieillissement de la population, mais on peut aussi proposer plusieurs autres éléments d’analyse. La baisse des recettes est liée à l’ampleur du chômage et à l’extension des bas salaires. En outre, le montant annuel des exonérations de cotisations accordées au patronat dépasse l’actuel déficit de la sécurité sociale et, chaque année, l’État ne compense que partiellement les exonérations, ce qui contribue à creuser ce déficit.

La protection sociale comporte plusieurs branches. Pour la maladie et le chômage, il y avait (jusqu’à il y a une quinzaine d’années), un lien étroit entre des prestations et des cotisations conditionnées par une activité rémunérée. Le développement d’une précarité de masse a soulevé une question nouvelle : celle d’une évolution qui permettrait à des personnes d’obtenir des droits sociaux alors qu’elles ont peu cotisé dans les dernières années. Il y a eu des évolutions en France depuis 1989, avec l’institution du RMI puis en 2000 de la CMU, mais cela ne concerne pas tous les individus démunis de ressources, les plafonds de ressources qui conditionnent leur obtention sont très bas ; certaines catégories de la population en sont exclues (les moins de 25 ans, les sans-papiers, les femmes dont le conjoint travaille).

- La précarité est une cause importante de dégradation de l’état de santé des populations. Son extension implique des difficultés d’accès au logement et un mauvais entretien des logements, d’o๠le retour de maladies comme la tuberculose ou le saturnisme. Elle implique aussi des changements des modes de vie, surtout parmi les jeunes qui ne peuvent mener une vie familiale et qui dépendent souvent de leurs parents jusqu’à 30 ans. L’épidémie du Sida a repris son avancée. Les progrès de la toxicomanie résultent de l’extension du marché des stupéfiants.

- En matière de santé, il n’existe pas de politique de prévention. Beaucoup de jeunes, de chômeurs, de Rmistes, sont privés de certains soins (par exemple dentaires). Les populations démunies ne sont pas soignées suffisamment à temps, les établissements de proximité qui leur étaient accessibles sont en voie de disparition. Les personnes arrivent souvent dans les hôpitaux ou s’inscrivent dans les dispositifs comme la CMU ou l’AME, alors que des soins sont devenus une nécessité urgente. Les sorties d’hôpital sont trop précoces, compte tenu d’un manque de place.

- Pour les personnes qui travaillent, il y a de très nombreuses maladies professionnelles non reconnues et non soignées en tant que telles, une très forte augmentation des cancers. Certains salariés (même en CDI) malades ou stressés évitent de s’absenter, ceux qui sont en contrat précaire risquent de perdre leur emploi. Les femmes soupçonnées d’être enceintes voient leur contrat non renouvelé, quand on n’évite pas tout simplement de les embaucher.

Les mauvaises conditions de vie finissent par se répercuter sur la santé et elles ne sont pas prises en compte dans le système de soins. Une sur-prescription de médicaments pallie l’insuffisance de professionnels de santé, l’absence de réflexion sur l’hygiène de vie, le stress, les habitudes alimentaires, et elle contribue à développer certaines formes de dépendance pharmacologique. L’entretien de lobby médicaux et pharmaceutiques financés par la sécurité sociale, est la conséquence directe des politiques de santé qui ont été menées depuis des années.

La dégradation du système de soins

L’accès à la Couverture maladie universelle et à l’Aide médicale d’État restreints

L’institution de la CMU a été la sanction d’un « dualisme » à l’intérieur du système de santé. Elle n’est accordée qu’aux personnes en situation régulière, il y a un plafond de ressources de 562 euros (3686 frs) par mois et elle demande un délai d’attente. Elle concerne actuellement 4,4 millions de personnes, mais autant se situent un peu au dessus du plafond et ne bénéficient d’aucune couverture complémentaire. La CMU permet le remboursement des frais que ne rembourse pas le régime général (forfait hospitalier, ticket modérateur). Les Rmistes en bénéficient, mais non les salariés à faibles revenus, les retraités ou les handicapés (le minimum vieillesse étant d’environ 3800 F). Les Rmistes qui bénéficient d’un CES (ou de tout autre contrat à durée déterminée et à temps partiel) voient diminuer de 30 % le montant de leur allocation, mais ils sont cependant au-dessus du plafond de la CMU. Pour les Parisiens, la CMU donne moins d’avantages que l’ancienne carte départementale « Paris-Santé  ». Par ailleurs, pour les personnes qui ont perdu leur CMU en raison d’un contrat de quelques mois, les délais d’attente pour leur réinscription sont longs. De nombreux cabinets médicaux refusent de prendre en charge des CMU, soit en raison des délais de traitement des dossiers, soit en raison de difficultés de paiement des patients - par exemple en cas de dépassements d’honoraires.

Les personnes qui bénéficient de la CMU ont une consommation de soins nettement supérieure au reste de la population. Elles sont souvent en mauvaise santé lorsqu’elles basculent dans ce dispositif, ayant perdu leur emploi. Les dossiers des étrangers pour l’accès à l’AME (aide médicale d’État aux étrangers sans papiers) sont soumis à une sélection sévère et même ceux qui l’obtiennent doivent désormais - de toutes façons - payer le forfait hospitalier et le ticket modérateur.

Actuellement, la CMU est financée à 70 % par le budget de l’État et les conditions de son attribution ont été rendues plus difficiles, suite au vote de lois de finances rectificatives en décembre 2002 et 2003. L’État n’est revenu en arrière sur les décrets d’application qu’en raison des réactions de nombreuses associations.

Le démantèlement de l’hôpital public et la crise des professions de santé

Les restructurations hospitalières ont entraîné, depuis une quinzaine d’années, la suppression de 150 000 lits d’hôpitaux. La poursuite du Plan Hôpital 2007 signifie encore la fermeture prochaine de 105 établissements et la mise en application d’une « tarification à l’acte ». En même temps se sont constituées de grandes chaînes de cliniques privées, qui fonctionnent sur des critères de rentabilité et vers lesquelles sont envoyés les malades à défaut d’établissement public à proximité de leur domicile.

La pénurie de professionnels de santé a été organisée depuis 20 ans par le biais de l’instauration de numerus clausus à l’entrée des formations et elle est par ailleurs la conséquence des mauvaises conditions de travail dans les hôpitaux. Cette pénurie incite les établissements de santé et les cabinets médicaux à sélectionner les publics et à refuser de prendre en charge certaines catégories. L’évolution du nombre de médecins est nettement insuffisante par rapport à la population (330 médecins pour 100 000 habitants) ; mais la pénurie de médecins est très inégalement répartie selon les régions et les spécialités. Les dépassements d’honoraires illégaux sont largement pratiqués, surtout par des médecins spécialistes du secteur 1 (conventionné). En plus, actuellement, 38 % des médecins spécialistes sont en secteur 2 (à honoraire totalement libres). La forte dévalorisation des professions hospitalières (infirmières, aides-soignantes, paramédicaux), a entraîné de nombreux départs de ces professions (56 000 infirmières depuis quelques années). Une infirmière exerce son métier en moyenne dix ans.

Le déremboursement des médicaments

Il y a un an, le gouvernement a décidé une diminution de 65 à 35 % du remboursement de 617 médicaments d’usage très courant, mais cette mesure s’inscrit dans un programme allant jusqu’en juillet 2005, qui toucherait 1400 médicaments sur 4000 répertoriés. On aurait trois catégories : ceux qui ont été jugés indispensables et qui correspondent à des maladies graves ; ceux qui ont été jugés moyennement efficaces - catégorie la plus large - ; ceux qui ont été jugés inefficaces ou peu utiles et qui ne sont plus du tout remboursés depuis juillet 2003. Par ailleurs, la plupart des médicaments seraient remboursés au prix de leur générique (soit 30 % en moins). Parmi les médicaments moins remboursés, on peut citer l’héxomédine, des vaccins, des produits anti-inflammatoires ou anti-allergiques.

Toutes ces mesures déjà largement appliquées devraient inciter un grand nombre de personnes à recourir à des mutuelles ou à des assurances complémentaires privées (variables selon les risques couverts), qui nécessitent des cotisations nettement plus élevées. Le maintien d’un système de soins de qualité ne serait possible que pour une partie de la population qui a les moyens de payer.

Le problème du financement

La réponse envisagée par le gouvernement consiste donc à individualiser une partie des cotisations, qui seraient effectuées à titre volontaire par chaque individu. La réforme prévoit surtout la création d’une couverture sociale « à plusieurs étages » :

- le régime général (qui couvre actuellement 75 % des frais) ne devrait couvrir à l’avenir que les risques les plus importants (environ 55 %), en fonction de la définition d’un « panier de soins » ;

- les mutuelles (qui couvrent actuellement 12 % des frais) verraient leur part augmentée et constitueraient un second niveau, mais elles seraient mises en concurrence avec des assurances privées. L’assurance « complémentaire de base » (ACMB) serait facultative, ce qui signifie que beaucoup de gens décrocheraient, n’ayant déjà pas les moyens d’assurer leurs dépenses quotidiennes de première nécessité (loyer, électricité ou alimentation).

- Le recours à des assurances complémentaires complètement privées constituerait, en principe, un 3ème niveau (surtout pour les médecines de spécialités et les dépassements d’honoraires).

Cet échafaudage qui complique le traitement des dossiers d’inscription et de remboursement, est en réalité un moyen détourné pour diminuer la part patronale des cotisations. Les mutuelles ou les assurances complémentaires (qui couvrent actuellement environ 86 % de la population) verraient leurs charges considérablement augmentées. Les cotisations devraient être augmentées dans l’immédiat de 60 à 70 %. Toutefois le gouvernement prévoit de subventionner des aides au recours à des assurances complémentaires pour les personnes les plus défavorisées (selon une mesure préconisée dans le rapport Chadelat). Pour l’instant, il envisage une aide de 150 euros par personne et par an, ce qui sera insuffisant. En outre, même en ce qui concerne les mutuelles, une sélection des assurés en fonction des risques que les personnes représentent serait effectuée.

Le problème du financement de la protection sociale (notamment pour les démunis et également pour d’autres catégories) renvoie à la nécessité d’une autre répartition des richesses. Aller plus loin dans ce domaine, cela nécessite de relever les taux de remboursement par le régime général pour tous les assurés, d’augmenter les cotisations sociales, de fiscaliser et de budgétiser certaines dépenses de protection sociale (comme c’est déjà le cas majoritairement pour la CMU). La création d’un nouveau type d’impôt comme la CSG en 1990 ou la CRDS en 1996 (prélèvement de 0,5 % sur les revenus créé par A. Juppé), a eu pour fonction de renflouer les caisses de la sécurité sociale. Mais en réalité, cela porte à 90 % sur les revenus du travail, très peu sur ceux du capital.

Certes, une fiscalisation excessive pourrait contribuer à déresponsabiliser le patronat : les entreprises trouvent avantage à un système qui aboutit à ce qu’une fraction croissante des frais de financement de la protection sociale soit prise en charge par l’État, alors qu’elles emploient beaucoup de salariés précaires. Il y a eu de nombreux allègements de cotisations sociales patronales pour inciter les entreprises à embaucher et pendant ce temps, l’État est censé compenser ces exonérations. Enrayer de telles logiques nécessite de contraindre le patronat à accepter des augmentations de cotisations sociales, mais aussi d’envisager d’autres formes de contribution des entreprises, notamment en fonction de leurs bénéfices qui ne sont pas proportionnels à la masse salariale ou aux emplois créés.

Quelques propositions pour maintenir un système solidaire de protection sociale

L’ensemble des mesures prises par le gouvernement l’a été sans concertation, il faut démocratiser le fonctionnement de l’ensemble du système de santé. De plus, les questions de l’emploi et de la protection sociale ne peuvent pas être séparées. Car les entreprises ont besoin de salariés à la fois compétents et en bonne santé. On ne peut pas attendre que les gens soient exclus de l’emploi pour s’occuper de leur prise en charge dans des dispositifs spécifiques.

- Il faut accorder une priorité à la lutte contre le chômage et la précarité, à la prévention à l’égard des populations défavorisées et au maintien des structures de proximité (hôpitaux, dispensaires, maternités, centres pratiquant des IVG).

- Il faut maintenir un objectif de remboursement à 100 % par le régime général pour tous les assurés, refuser l’institution de plusieurs systèmes séparés de protection sociale. Ceci suppose de relever significativement la part de la richesse nationale créée qui est consacrée à la sécurité sociale.

- Outre l’augmentation des cotisations sociales, les revenus issus des placements financiers devraient aussi contribuer au financement de la protection sociale : il faut donc une taxation de ces revenus, plus une taxation des bénéfices des sociétés.

- Pour la gestion des organismes de sécurité sociale, il y avait des mandats et des élections au suffrage universel, qui ont eu lieu pour la dernière fois en 1983. Actuellement, cette gestion est limitée à quelques personnes, avec une opacité complète. Le plan Juppé y a largement contribué depuis 1995. Les élections devraient être rétablies et les usagers (salariés, chômeurs et retraités) devraient être représentés et associés à la gestion.


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