Impressions sur Porto Alegre
par
« Ce que nous avons imaginé n’a pas vocation à servir de modèle. Nous n’avons pas de recette toute prête à offrir. Ce que nous avons construit ne peut pas être copié sans tenir compte de la culture, de l’histoire, de la formation sociale de chaque Etat, chaque ville et chaque région. Nous avons simplement expérimenté une méthode, une méthode critique du système représentatif et nous avons fait la
preuve que ce ne sont pas seulement les présidents, les maires, les employeurs qui peuvent construire et diriger, mais que la population aussi est capable de s’inventer une histoire  ».
Raul Pont, ancien maire de Porto Alegre.
... mais aussi :
Forum social mondial de Porto Alegre, 31 janvier - 5 février 2002 :
400 parlementaires, 150 maires de villes moyennes ou grandes, 6 ministres français et plusieurs candidats aux présidentielles, 52 000 participants inscrits, des dizaines d’ateliers, d’exposés et de conférences.
Ci-dessous, nous vous proposons deux textes, deux points de vue, deux impressions...
Porto Alegre : Capitale mondiale des Résistances
Participer au rassemblement des mouvements sociaux du monde entier, ce « creuset  » ne permet pas, pour la militante néophyte que je suis immergée pour la première fois dans un événement de cette dimension internationale, d’appréhender toutes les valeurs, événements, expériences associatives, politiques, syndicales mises au programme.
Je ne sais si les équipes de journalistes, envoyés spéciaux, médias alternatifs....... organisés en se sens y sont eux-mêmes parvenus, tant les rencontres, les débats, rapportent la diversité, l’importance des processus en émergence et en cristallisation... Tant, tout cela est-il en voie de s’étendre, se propager telle une onde... avant pendant, et encore très longtemps après l’évènement.
Je me propose donc, ici de vous rapporter Porto Alegre tel qu’il s’est impressionné émotionnellement dans ma mémoire, et de bien vouloir accepter les généralités, les imprécisions inhérentes à un séjour d’une aussi courte durée.
En premier lieu, je retiens des tonalités de gravité, d’inquiétude :
Celles exprimés par les participants réunis à l’ouverture du 2e forum social, lors de la première manifestation : La marche pour la paix. Premières rencontres avec « un cordon humain, multi-ethnique et pluriculturel  » qui envahit les principales avenues de la ville, hommes et femmes venus de l’équateur, du Chili, d’Argentine, du Canada, peuples indigènes du Brésil, d’Afrique, des provinces françaises : la Bretagne, l’Auvergne, la Corse... pour ne citer que ceux que j’ai cotoyé et avec par réfléchissement la prise de conscience de ma propre appartenance à ce monde cosmopolite et riche de ses différences.
Gravités orchestrées par ceux qui génèrent cette Marche : je garde l’image précise de certains, juchés en haut d’une « estrade  » improvisée : le toit d’un camion transformé en plateforme sonore, hérissé de photographes et de bannières. Les voix aigues et puissantes des femmes à la nature sud américaine généreuse, ces ouvriers du Brésil qui lançent via les micros leurs slogans, hurlent ce message : « ...........Argentina........Argentina.........  » la barrière de la langue m’empêche de m’associer à eux par les mots, mais ce qu’ils disent s’ajuste à ma compréhension par la puissance du scandé des slogans, les cris, « les casserolades  », les vagues reprises en bas dans la foule du cortège.
Je sais la révolte du groupe, la solidarité, l’union. Ces voix sont portées par la CUT, centrale syndicale unitaire des travailleurs brésiliens (première confédération syndicale du pays), par le PSTU (parti socialiste des travailleurs unifiés), le PT (parti des travailleurs), les « Metalurgicos  », le « Partido Obrero  », les travailleurs noirs, et bien d’autres. Ils revendiquent l’unité sociale de l’Amérique Latine, contestent l’ALCA (Accords pour le libre-échange des Amériques), ils nous parlent sans doute aussi de la désindustrialisation, certains endroits de la ville en présente les plaies, des 30 % de la population de travailleurs en situation de « travail informel  », vendeurs de rue, à la sauvette, salariés sans contrat de travail, mais aussi du travail des enfants brésiliens...
En cours de route, s’associent à notre défilé, du haut d’un immeuble d’une vingtaine d’étages, 417 avenue Borges de Medeiros, les bras tendus, drapeaux rouges et messages d’un groupe de skatteurs, occupant depuis l’aube des logements réquisitionnés pour les « sans  », ils s’affichent : MNLM, militants pour les droits au logement. Je ne les identifie pas plus. Ils font la une du quotidien Zero Hora sous titré : Invasao no Edificio Sul América.
Je croise aussi « Nuances  » groupe qui revendique la libre expression sexuelle, celui qui invite à : « Rompa o silêncio, Silêncio = morte  ». Peut-être s’agit-il de ces histoires singulières des filiations de la misère que certaines rues des quartiers pentus de la ville, vous racontent le soir venu ?
Autant d’exemples rapportés ici, des actions nécessaires pour gérer la mondialisation comme un outil de promotion de développement social et humain pour tous, promotion du droit de tout homme et de toute femme à un emploi décent. C’est sous ces rapports que s’exprime aussi dans le forum, la CMT (Confédération Mondiale du Travail ), alors qu’elle demande à ce que les politiques des institutions internationales intégrent systématiquement « l’objectif de plein emploi durable  ».
La confédération considère la promotion de l’emploi comme action prioritaire pour réduire la pauvreté et apporte la définition de l’emploi décent : « un travail productif, librement choisi, qui permet par une rémunération juste que le travailleur et sa famille puisse vivre dignement, et pas simplement survivre, respectueux de ses droits et de sa dignité, un travail exempt d’exploitation. Est décent le travail qui fait du travailleur un acteur d’une économie au service de l’humanité, et non un simple facteur de production (dans le secteur formel ou dans l’économie informelle)  ».
La conférence sur le Travail organisée dans les locaux du Gymnase de la Bridage militaire quant à elle, souligne que des expériences positives concernant l’élaboration de budget de manière participative prouve que le peuple peut définir comment le gouvernement obtient et distribue l’argent... que là où il y a politique de développement régional, il y a augmentation de salaires... que beaucoup de pays ont plus de cinq syndicats, ce qui consomme les ressources et rend les syndicats moins puissants... Elle souligne que les travailleurs ont deux avantages : ils sont la majorité dans tous les pays du monde, et ils sont indispensables n’importe où. On peut imaginer le monde sans grands investisseurs, mais on ne peut pas le concevoir sans ouvriers.
Elle synthétise des propositions desquelles j’extrais celles qui suivent :
- renforcer un syndicaliste socio-politique centralisé sur les questions simples du travail, traitant des thèmes : politique et économie, droits humains, lutte contre les inégalités...
- organiser les non-organisés (en Amérique Latine, 50 % travaillent dans le secteur parallèle),
- faire en sorte que les conditions de travail des femmes soient plus civilisées. Les syndicats doivent leurs donner accès à des postes de décision et de direction à tous les niveaux, y compris au sein des syndicats. Ils doivent en finir avec la violence contre les femmes à tous les niveaux. Inclure dans leurs négociations syndicales, les questions concernant les femmes.
Le message des femmes :
C’est sur fond de collines, dans les quartiers plus excentrés de la ville et dans les couloirs de l’université catholique que je le saisi : des harrangues portugaises sortent d’un atelier dédié aux alternatives féministes, quelles natures ! quels tempéraments ! mais aussi combien de souffrances, violences et colères exprimées ici. Je préserve ces impressions, les porte encore comme empreintes profondes,... les traductions en français ne sont pas prévues, je dois donc changer de salle, quitter cet atelier à regret. J’en fait la brève restitution complémentée des informations recueillies dans les documents en anglais que j’ai précieusement rapportés dans mes valises.
Les femmes sont très présentes sur le forum. Rassemblées dans les mouvances de la World March Mouvement, elles s’organisent et défilent dans la « Marcha Mundial des Mulheres  » contre la discrémination et les violences sexistes, soufflent dans des trompes aux sonorités primitives pour renforcer l’interpellation des spectateurs, attentifs ou contrariés et massés sur les bas-côtés, agglutinés sur les marches de l’université. Leur défilé est impressionnant, certaines portent une affiche géante : visage d’une femme baillonnée, d’autres ont masqué leurs bouches, on lit : « contre le fondamentalisme, ta bouche est fondamentale  », elles brandissent l’affiche d’une afgane, théatralisent et miment leurs combats, accrochent aux façades de l’université des bannières géantes mais aussi construisent des alternatives avec le REMTE (Red Latinoamerica Mujeres Transformado la Economia), élaborent des propositions de nouvelles politiques économiques pour améliorer les conditions de vie de celles, principalement les plus pauvres et les plus exclues.
Le REMTE est un mouvement qui rassemble des groupes de travail de 10 pays : le Brésil, la Bolivie, le Chili, la Colombie, l’Equateur, le Mexique, le Nicaragua, le Costa Rica, le Salvadore et le Pérou. Il se consacre principalement à étudier le travail des femmes (formel ou informel : le travail domestique) la lutte contre la pauvreté, le commerce international, l’économie solidaire,...
Les femmes animent aussi les débats, tiennent conférences et ateliers, portent les propositions du réseau de groupes féministes de Porto Alègre : Guayi. Elles abordent les thèmes :
société civile, espaces publics : culture de violence, violences domestiques,
démocratie participative
production de la santé et reproduction sociale, le travail, l’ économie solidaire,
pouvoirs, politiques et éthiques, démarches pour la paix, contre le militarisme et les complexes industriels militaires.
D’autres encore tiennent les stands qui déballent aux participants les productions artisanales venues de toute l’Amérique Latine, d’Afrique ou d’ailleurs, les tee-shirts militants confectionnés et imprimés pour le forum, les « marchandises militantes  » qui repartiront et s’égayeront dans tous les pays du monde. D’autres, enfin « artisanes indiennes  », installées à même le sol confectionnent des bijoux, surprenants par la simplicité des matériaux travaillés et valorisés : le cuivre, les végétaux, le raphia.
Ces impressions condensées tout au long du forum rendent compte de ma propre responsabilité ici encore, à partager, rapporter, les luttes menées. De celles qui connotent l’urgence, la pauvreté, et viennent renforcer les nôtres.
Elles s’accompagnent toutefois en contrepoint, du registre des tonalités joyeuses :
L’exemple des Sans Terre
Contrastant sur le tragique du sujet, réunissant les publics dans les fins fond du parc de la Farroupilha, auditorio Arajjo Vienna, et présentant le processus de la dette infligé aux pays les plus pauvres, les témoignages, le tribunal proprement dit avec ses avocats de la défense, ses réquisitoires, je rencontre en ce lieu des explosions de joie, des engagements, le bonheur des rencontres et des victoires communes, une ambiance ardente de fête populaire.
Mêlés au déroulement de la deuxième journée du Tribunal de la Dette, les chants, les musiques, La Gantanamera [1] (je rapporte ici les précisions que des militants français nous en ont donné) soulèvent les enthousiasmes et sont repris en cÅ“ur par toute l’assemblée.
Les chants, la musique mobilisent ici une assistance qui se décrit aussi bien par son swingue que par la chatoyance de ses drapeaux, ses ondoyants symboles brandis au plus haut, les rondeurs et visages tanés, je veux parler des mouvements brésiliens, argentins, chiliens, paraguayens des paysans. Les paysans d’Amérique Latine, parmi lesquels on reconnaît plus facilement ceux de la Via Campesina, (mouvement auquel adhèrent des organisations agricoles et paysannes en provenance de toutes les régions du monde l’Asie, l’Europe, les deux Amériques et l’Afrique), du MST [2] (le mouvement des sans terre, collectif autonome né des luttes menées dans l’Etat du Rio Grande do Sul), de ceux qui les accompagnent, le Movimento dos trabalhadores desocupados, (encore des « sans  » ), le Jubilé Sud, le Mopossal mais aussi le mouvement ANAMURI (asociacion nacional de las mujeres rurales e indigenas) les Mapuches du Chili.
D’autres combats s’écrivent ici, ceux des ocampamento, des assentamento où l’on se procure des moyens d’existence en s’appropriant, réquisitionnant des terres encore en friches, celles des grandes propriétés les fazendeiros ou celles mises à disposition par l’état. Des terres cultivées « organiques  » (les nôtres sont chimiques) libres de produits transgéniques mais dont les productions sont parties prenantes des politiques de développement local tout en se heurtant aux productions des grands réseaux de distribution qui multiplient leurs enseignes commerciales dans les villes.
Transactions, médiations, soutiens des gouvernants qui « imposent à ces grandes surfaces de composer avec des approvisionnements en produits locaux, qui confient la gestion des ordures organiques aux associations de recyclage de la ville, qui ouvrent des crèches pour les salariés, imposent des emplois prioritaires aux plus démunis...(...) Equilibres trouvés des entreprises coopératives autogérées celles qui fondent les programmes d’une économie populaire solidaire. Elles sont considérées comme outils au service d’une politique active d’inclusion par le travail, la démocratie et le développement local, outil de renforcement de la société civile dans l’espace public  » [3].
Ceux qui impulsent le tempo...
Je les retrouve dans les espaces décloisonnés du hall de l’université, prémisses aux prochains décloisonnements qui vont éclore dans le monde entier. Ils s’effilochent ici et distillent chacun à leur manière, le message des conques indiennes (les peuples premiers du brésil, dont plus de 200 ne sont pas encore reconnus) la volée des cloches de José Saramago (du paysan qui annonce la mort de la justice), les airs de fanfare brésilienne, cuivres et percussions de la cérémonie de clôture, les notes qui invitent à repousser les barrières, les statuts, les sièges, au plus vite dans les marges, engagent à occuper l’espace central du bonheur rayonnant des visages qui s’affichent sur écran géant, de ceux qui se sont reconnus, agitent des mouchoirs blancs, dansent et croient possible de changer le monde...
par Dominique Gauthier, avril 2002.
CONSIDÉRATIONS INTEMPESTIVES
(extraits - Paris le 20 février 2002)
De retour de ces rencontres, je livre ici des informations glanées sur place et quelques éléments d’analyse sur le Forum social-démocrate de Porto Alegre.
L’heure de la reconnaissance
La structuration du FSM était déjà un clair exemple de collaboration de classe. Dans la commission d’organisation, on trouve aux cotés de la CUT et du MST (respectivement Centrale Unique des Travailleurs et Mouvement des travailleurs paysans Sans Terre), l’association brésilienne des chefs d’entreprises pour la citoyenneté et l’association brésilienne des ONG. Des patrons « progressistes  », des ONG qui prolifèrent grâce à l’absence de politiques publiques, aux financements des programmes de l’ONU et de la Banque mondiale et au développement des emplois précaires et même le volontariat, c’est sans doute cela la mobilisation de la « société civile  » pour « un autre monde possible  ». (...) Quant aux ONG, cela fait maintenant des années qu’elles constituent un élément clé, pas seulement d’accompagnement, dans le dispositif du processus de la globalisation capitaliste : financés par les Etats, les Nations unies, la propre Banque mondiale, elles développent des politiques caritatives et assistancielles qui visent à désamorcer toute velléité de mobilisation populaire et de politique indépendante tout en devenant elles-mêmes de formidables multinationales appliquant des stratégies de développement propres à défendre et accroître leurs intérêts particuliers dans le marché en expansion de l’aide humanitaire ou au développement.
Parmi ces ONG, citons Enda du Sénégal, une des organisatrices du Forum africain préparatoire de Porto Alegre : elle défend le travail des enfants et déclare qu’il faut se limiter à défendre leurs droits en tant qu’enfants-travailleurs ! Une ONG qui par ailleurs participe activement à la privatisation de l’eau au Sénégal en construisant des puits et des citernes mais en faisant payer les factures aux usagers !
(...) Attac-France est avec le PT du Brésil le grand ordonnateur du FSM. Ceux qui croyaient que ce mouvement allait développer une politique indépendante de la gauche française se sont trompés. Une fois de plus, un mouvement large et fourre-tout se créé et se développe dans un flou intentionnel dominé par une critique avant tout morale du capitalisme et surtout de ses manifestations, de ses excès, de ses « dérives  » : on critique la « dictature des marchés  » et non celle du mode d’accumulation et de consommation, on parle de combattre la pauvreté et non ce qui la provoque, on parle de s’attaquer aux paradis fiscaux et aux mouvements incontrôlés du capital financier et non au capital lui-même et aux mécanismes de sa production et de sa reproduction, on parle d’exclusion pour mieux maintenir ceux et celles que l’on désigne ainsi dans la marge. (...)
Un Forum peu social et inoffensif.
Les dizaines de conférences organisées dans l’université ont le plus souvent pour thème des problématiques de gestion et d’administration des instances locales, régionales, nationales et internationales du pouvoir politique : l’eau, la santé, l’urbanisme, le développement durable, etc... Autant d’aspects qui ne sont surtout pas abordés dans une perspective de mobilisation sociale, de lutte collective, d’organisation à la base mais dans une optique de gestion à l’intérieur d’un système jugé indépassable. Les mouvements sociaux (à part le MST qui dans cette opération sert surtout de caution) ne sont pas représentés parce qu’ils ne sont pas invités, parce qu’il n’y a aucun espace prévu pour des rencontres directes de mouvement à mouvement, parce qu’aussi ils n’ont pas les moyens de se déplacer jusqu’à Porto Alegre. Pas de piqueteros d’Argentine, ni de paysans boliviens, ni même des sans-toit du Brésil. (...)
Ne pas déplaire du côté de Washington
Dans cette volonté de se poser en interlocuteur des instances internationales de la régulation capitaliste et en premier lieu des États-Unis, tout ce qui pouvait ne pas plaire a été gommé. Ainsi, les représentants du parti communiste et du gouvernement cubain n’ont pas été invités, ni les porte-parole d’organisations « terroristes  » comme les Farc (Colombie). Les zapatistes n’ont pas non plus fait le déplacement : invités mais en douce ils auraient décidé de s’abstenir. Même les Mères de la place de mai d’Argentine n’ont pu venir à Porto Alegre que par la petite porte d’une invitation discrète du Mouvement des Sans Terre. (...)
L’alternative au FSM : construire dans les luttes une perspective d’émancipation sociale
On ne peut donc ici que dresser un constat de carence. (...) Porto Alegre est très exactement le contre-exemple de ce qu’il faut faire. Une internationale de la résistance sociale, si elle devait voir le jour, ne pourra faire l’économie d’une analyse sérieuse et précise des mécanismes de l’exploitation et de la domination, des contenus des ses revendications et de ses aspirations et d’un projet d’émancipation qui s’oppose à toutes les tentatives de collaboration, d’institutionnalisation et de d’intégration.
Face au renforcement des structures étatiques et à la centralisation toujours plus grande des pouvoirs politiques et économiques, l’autonomie sociale et territoriale doit devenir non seulement une revendication, une pratique quotidienne mais aussi une orientation stratégique. Dans bon nombre de pays d’Amérique latine, des organisations populaires de base, des mouvements de lutte développent leur activité en dehors (et contre) les préoccupations électorales des partis. L’autonomie se développe et s’enracine en tant qu’expérience de résistance collective et l’alternative proposée est celle du pouvoir populaire, dans les quartiers, dans l’espace territorial et selon des formes assembléistes et communautaires. (...)
La deuxième édition du Forum Social-démocrate Mondial s’est donc éloignée un peu plus des dynamiques qui avaient marqué les mobilisations de Seattle, Prague, Gènes. D’ailleurs, de ces protestations il en a été à peine question sauf sous la forme d’un souvenir lointain, certes fondateur mais appartenant désormais au passé... En passant de la contestation « anti-libérale  » aux propositions politiques, une page a été tournée.
Après Porto Alegre, c’est la question même de l’existence du mouvement « anti-mondialisation  » qui est posée : l’unité dans la différence qui constituait la base minimale permettant la convergence des différentes options n’est plus de mise car on ne converge pas avec ses ennemis. Aujourd’hui, ce sont les options politiques elles-mêmes qui sont en jeu. Et cette bataille politique ne se mènera pas en courant de manifs en rassemblements et en enfermant le débat sur des enjeux à court terme, accessoires, extrêmement partiels et conjoncturels : manières de manifester, violence/non-violence.
Si un autre monde est possible, il est évident que le chemin qui y mène ne passe pas par des opérations du type FSM. L’heure est venue de construire autre chose et de jeter les bases d’une méthodologie et un projet qui soient à la hauteur de l’enjeu.
Dans un premier temps, ce processus pourrait commencer par une meilleure connaissance des expériences de lutte menées à la base, par des rencontres croisées entre les différents mouvements de la résistance sociale et la mise en place de liens de solidarité : que savons-nous ici en France des expériences du syndicalisme de base en Italie, du mouvement des okupas dans l’État espagnol, de la lutte des piqueteros d’Argentine, des organisations populaires brésiliennes dans lesquelles interviennent les libertaires, des mouvements de lutte des paysans et des communautés indigènes de Bolivie, de l’insurrection kabyle ? Presque rien. La réponse donne une première indication de ce qui devrait être entrepris car c’est bien de la richesse des ces milliers d’expériences, des échanges directs de mouvements à mouvements, de la circulation des informations et enquêtes utiles que pourront naître les premiers éléments d’une alternative sociale et politique.
La question de l’autonomie des mouvements, de leurs schémas d’organisation depuis la base et de manière horizontale, de la définition de programmes de lutte indépendants des partis et de l’État, de leur capacité de se construire sur leurs propres forces, la définition de leur projet social, de leur stratégie (institutionnelle ou non) font aujourd’hui clivage avec les tenants de la sociale-démocratie pour qui ces mouvements ne sont que des marchepieds dans la mise en Å“uvre de stratégies interclassistes visant la conquête du pouvoir et la gestion du système d’exploitation.
Intégration capitaliste ou rupture révolutionnaire, il n’y a pas de place pour les compromis. Il faut choisir son camp.
par Jeff.
[1] C’est un chant révolutionnaire cubain du temps de José Marti, c’est aussi une guajira, une paysanne cubaine, d’une petite ville du littoral à l’ouest de l’île Guantanamo.
[2] Mouvement qui diffuse des informations en provenance du monde entier, et sur les institutions financières internationales. Mouvement qui a inventé l’école dite « itinérante  », dont les éducateurs et les formateurs sont tous des paysans.
[3] Porto-Alegre, Voyage en alternative, Martine Hassoun, 2001, éditions Syllepse.